Christian Gattinoni

Des lieux – Logiciels pour l’Histoire

L’arsenal, Hôtel des Arts, Toulon, 2000

1    Le message de la cale morte

L’entendre passage. La cale n’est pas la mer. La morte n’est plus cette mer centrale. Plutôt la ville. Une image ville réside en cale sèche. Relire le passage où la mer envahit le site. Qui prend l’eau entend le message. Si la cale rend l’eau, elle n’est pas morte. Cela s’échafaude, mais s’il n’y a plus de corps. Qui donc est en danger de mort. Le site ainsi bâti énonce une idéologie prospective. D’où le mythe de la cale à passer dans l’histoire déchaînée. De l’autre côté tente de transiter un peuple ouvrier menacé. Ils ne sont pas dans l’image tel est le message de la cale morte. La photographe connaît tout autant l’histoire de la cale récente. Le texte liminal récite le drame du dernier chantier naval. Le peuple d’ouvriers, absent des écrans de tirage, fait masse derrière la caméra.
A l’image numéro Temps la mer fait place. La cale sèche. La mer est morte mais la voie semble tracée. La sauvegarde peut s’engager. Une fois le message codifié. Il faut franchir la cale morte.

2    Ce n’est qu’un jeu

Il s’applique aux adultes, adolescents de quinze ans et plus. Vous devez exiger un damier par joueur qui choisisse chacun un camp. Foch ou Clémenceau, l’icône est un bateau. Comme tout jeu de stratégie il exclut la violence pour l’entendre parcours. Le logiciel comprend deux entrées, chacune autorise logique de combat et intervention dans le site. Le damier n’influe pas les déplacements il faut plusieurs images pour s’en apercevoir. Il reste un élément écran susceptible de traversée violente. Décor aussi, il évoque d’autres lieux de l’artiste.
Au cadran solaire à Troyes le jeu restait encore nominal. Pour donner le change, de l’ancien hospice entre centre d’art d’alors, aujourd’hui disparu, la question se posait du legs de ces noms d’emprunt. Le lieu était malade du temps et déjà les patients avaient été chassés. Les différentes avancées suggéraient la solution patrimoniale des donateurs. Les images lançaient des pistes très contemporaines. Les noms étaient propres et les lieux restaurés.
Les parties proposées souvent se déroule dans l’entre-deux urbain de ces attributions détournées. Ici le damier écran laisse la mer le déborder. L’horizon s’est incliné. Plusieurs portails sont à franchir dans l’urgence d’une compréhension de la seconde partie. Elle s’engage quand on a compris qu’il faut changer au moins d’icône. L’enjeu militaire n’est qu’un stade dépassé. Au deuxième niveau il faut troquer le nom d’un navire contre celui d’un sculpteur à identifier. Une autre partie peut s’engager qui privilégierait les passages de langage. Comme ces chenilles tropicales qui imitent le cri des fourmis pour qu’elles viennent à leur secours. Il convient de traduire les ressources d’un langage à un autre. Puisque : « La sculpture a depuis toujours deux fonctions principales. Elle est d’abord destinée à la célébration du pouvoir et son renforcement. D’autres part elle est préposée au culte du souvenir (…) En ce sens la sculpture est politique ou funéraire. » (1)

3    Les règlent jouent de l’interactivité

On nous propose d’abord d’interpréter le morse de la digue sur la plage d’horizon. Le mécano urbain se construit sur la même ligne qui a seulement fait basculer l’image de l’horizontale à la verticale. Les diverses pièces du mobilier industriel s’accumulent renouvelant le phrasé des docks jusqu'à complète occupation du site par les bâtiments de guerre. Ces navires désignent la fosse interdite comme fabrique ou atelier. Nous voici en plongée prêts à expérimenter le langage des formes. La syntaxe maintenant s’énonce arrimeurs, plots, bornes, flotteurs, madriers…
« Comment nommer ce gisement, cette instance stable, sinon une statue ? Bloc inerte posé là, silencieux, tumulaire, funéraire, grossièrement ou exquisément ouvré prennent parfois la forme d’un corps produit par nous exterieur à nous … » (2)
Au retour des damiers enchaîner sur la précédente séquence d’art monumentale. En activant le programme d’aide on suggère que l’écran vectoriel puisse prendre comme modèle un dessin de Richard Serra. La partit des lors se mène masse contre lignes, aplats monochrome contre redents de l’architecture industrielle.
Troisième niveau, débat contradictoire des formes essentielles. Vos icônes ici s’appellent Skoda pour les sphères de métal ou Venet, Bernar, pour les arcs métalliques. Le parcours s’adapte aux circonvolutions de leur imaginaire. Les boules se muent en entassement de chaînes qui se superposent au tas de charbon que Bernar Venet rassembla. Les blocs bruts monolithiquement dressés sur le fond des cuves rappellent l’exigence d’Ulrich Rückriem.
à ce niveau nous atteignons les portes noires qui protègent de l’accès à l’enceinte interdite. Plusieurs éditions en héliogravures format jésus, tirées métal contre métal, marquent de leur manière noire l’interdit. Leur succession rappelle le nécessaire déplacement du corps du spectateur pour la découverte au sein du noir de la trilogie volume, masse, matière. L’enjeu est d’importance puisque les portent retiennent la mer entière.
L’étape franchie nous permet de déboucher de nouveau sur les flancs du navire. Le bâti d’échafaudages en dissimule encore le corps. Cordages, ombres et filins s’y organisent comme les tapis, tissus et autres éléments mobiliers sur les installations de Jessica Stockholder. Le gain se matérialise un instant sur le clignotement des mots honneur et patrie qui semblent évoquer une police navale et ses batailles. Ce n’est qu’un leurre onirique. Puis la séquence finale nous ramène au paysage.
Notre figurine de navire vient concorder avec l’autre bâtiment naval. Le passage de pouvoir se fait d’un ouvrage de guerre à l’autre. Naviguer dans les eaux de l’enceinte interdite n’a amené que cette restauration d’une image de pouvoir temporel. Et d’autres stratégies.
« Les formes monumentales, les avertissements péremptoires, et les appels solennels au souvenir on fait place à des pratiques hétérogènes qui s’adressent plus à la perception sensible qu’a la mémoire et appellent plus au jeu qu’au respect. » (3)

4    Sans perdre ni la face ni la partie

Dans les logiciels du commerce les visages étaient scannés et restitués en tranches sensorielles. Ici le front, là les yeux, au milieu le nez, là-bas les oreilles, le portrait était robot et le gain relevait de la prime. Jacqueline Salmon, historienne de formation, les a choisis parce qu’ils constituaient son équipage mental. Leurs noms étaient connus au quiz de la pensée contemporaine quand leur visage restait dans l’ombre. Dans un autre temps sa collection était des lieux. à chacun elle se donna comme règle de leur rendre visage.
Et jamais visage si près ne s’est trouvé de la pensée. Si le jeu dorénavant s’est fait philosophe, jamais il n’a été aussi évident d’apparier, face, lieu et destinée, comme si Lévinas lui-même en avait édicté le déroulement.

5    En sauvegardant le sens de l’Histoire

Retour à l’arsenal, nous le percevons comme cette construction (le mot, as-sina, comme d’autres chiffres vient de l’arabe) où se déroule une restauration. Les décors comme ceux d’autres lieux de l’artiste semblent scénarisés par Tarkovski. Jusqu’à l’hommage que l’artiste revendique couleurs et formes. De la traversée en temps réel de l’arsenal, des effleurements tangentiels de matière qu’elle occasionne on peut lire le gris intemporel de Stalker, ou ses liens avec l’escalier égyptien d’une échelle dressée vers le ciel chimique.
Aux berges du Rhône l’artiste cherche à extraire d’une vision de marécages archaïques les signes cachés d’une permanence spirituelle. Au fil de cette avant dernière partie, conçue comme une remontée tant spatiale que temporelle du fleuve. à nous d’inscrire le détachement de ces figures rémanents sur l’écran au carré du paysage.
Les effets de scintillement, de miroitement, d’éblouissement, purement photographiques nous rendent cette identification plus hasardeuse. Cependant la grammaire des ombres, toujours héritée d’une vision personnelle de l’histoire de l’art nous guide vers des solutions de reconnaissance transhistorique.
Chaque série de Jacqueline Salmon comme cette petit histoire du XXème siècle racontée à Krems, à partir d’un lieu en démolition, en transformation instaure un jeu esthétique aux règles fortes. L’histoire des lieux, en transgression de leur désuétude, y est liée aux destins humains. Ce lien s’avère d’autant plus fort que le spectateur s’identifie aux personnages absents de la plupart des images, comme le porte-parole dont le portrait aussi fait lieu. Du Grenier d’abondance à la chambre d’accueil des sans abris les lieux les plus précaires, d’enferment, de maladie, de mort, malgré leur apparente désaffection incluent tous les corps potentiels, et notamment ceux des exclus habituels de l’histoire. Le voyage qui leur est proposé du réel à l’art (photographie, sculpture, architecture) dresse des espaces réactivés d’un réel transfiguré. Les utopies de l’urbanisme, de la philosophie le bâtissent pour tous.


(1) Yves Michaud, Les champs de la sculpture.
(2) Michel Serre, Statues.
(3) Yves Michaud, op.cit.