Jacqueline Salmon

L’Arsenal

projet pour l’Hôtel des arts, Toulon, 1999

A Toulon l’Arsenal borde la route que l’on prend pour se rendre à Hyères.
C’est un long mur, puis une entrée interdite. Derrière ce mur, de lourdes histoire sociales. Derrière ce mur aussi – je le savais- le porte avion Clémenceau comme un souvenir d’enfance.
Mon grand-père collectionnait les timbres. Il prenait « Le Clémenceau » délicatement avec une pince en prononçant cérémonieusement son nom, le regardait une fois de plus, puis il le glissait sous le film protecteur de papier transparent.
Lorsque Sophie Biass alors directrice de l’Hôtel des Arts à Toulon m’a proposé une commande, j’ai tout de suite désiré entrer dans l’arsenal.
L’occasion était inespérée.
C’était une petite ville, avec ses rues et ses bâtiments hétéroclites. Pas très intéressante. Il était interdit de photographier les bateaux de guerre, interdit de photographier les radars et autres installations techniques. Presque loin de la mer que l’on ne voyait pas, accessibles, mais encadrés, les bassins de carénage étaient de vastes espaces énigmatiques dont un côté fait d’une gigantesque paroi de métal inclinée vers l’avant retenait la mer. Plus loin, comme des installations inconscientes, y avait des champs d’objets massifs : chaînes, bouées, balises classées par genres, tout un vocabulaire de formes et de matières dédiés à la sculpture. Accompagnée et surveillée j’ai commencé à photographier. Ce n’est que plus tard lorsque le porte -avion Foch rentra du Kosovo avec tout l’équipage debout sur le bastingage sans protection au-dessus du vide, depuis aussi longtemps que le navire était visible à l'horizon que j'ai été saisie d'émotion. En me mêlant à la foule bouleversée des mères, des sœurs, des filles, des amantes, pour qui l'Arsenal s'était ouvert, je découvrais l’ improbable sol de damier qui était celui de l’accostage des porte-avions.

Il m’a paru alors évident que l’ensemble de mon travail serait d’une part une manière d’allégeance à l’œuvre de Richard Serra et, par-dessus le temps, un écho aux préoccupations des peintres d’architectures et de paysages qui après le quattrocento situaient leur sujet au-delà d’un premier plan en damier, pour mettre en valeur leur maîtrise de la perspective.

Jacqueline Salmon, 1999.