Martine Sadion

Sur les routes

Musée de l'image , Epinal, 2010

Un chemin, à peine, se dessine au bord du canal. Les pas ont, peu à peu, dénudé les pierres, écrasé les herbes. A côté du canal, si droit, qui barre la photographie de son trait, la trace est infime, si légère qu’elle pourrait être celle d’un lutin. De ceux que l’on pourrait rencontrer, si on les laissait faire, dans ces amas d’herbes pliées, de branches, de mares qu’abandonne le Rhône en revenant dans son lit. Fleuve-Dieu, libre autrefois, il semble déposer dans ces lônes sauvages, dans ses débordements, toutes ses excentricités, toute sa magie qu’il ne peut montrer, enserré désormais dans ses barrages et ses digues.
On sait qu’un fleuve n’a pas d’âme, qu’il coule inexorablement de sa source à son embouchure, indifférent, écrasant ce qui lui fait obstacle. Et c’est sûrement cette insensibilité qui nous fait le vénérer, le considérer comme un dieu… Ou bien ces signes, si on sait les percevoir.

Les signes que voit Jacqueline Salmon sont subtils. A première vue, ses photographies de la série Lônes pourraient n’être qu’images de désordre. Puis, les troncs effondrés dessinent des passerelles imprévues, les pétales des fleurs de merisier sauvage semblent tombés en offrande, comme dans d’anciens cultes aux fleuves. Les lambeaux de plastique et d’herbes, déchets dépecés, emprisonnés dans les branches, dessinent des croix, des totems à des divinités sauvages, des robes de fées.
Les reflets des nuages qui miroitent dans l’eau souvent glauque, sont carrés. Les branches bougent comme des bras immenses. La vague trace de passages répétés se révèle empreinte de voyages sacrés, de pérégrinations magiques. Tout devient autre et imaginable.
Jacqueline Salmon sait oublier sagesse ou raisonnement. Aller au-delà. Le cadre qu’elle choisit, le regard poétique qu’elle s’autorise sur le paysage, où son imaginaire a toute liberté, nous montre l’invisible. Et il ne nous est plus impossible de découvrir, à notre tour, des symboles, des signes… que nos propres références et croyances nous font évoquer. Contrairement aux autres images de la série, cette photographie représente un univers presque ordonné de rives rectilignes. Sans mystère.
Puis , en faisant fi de nos certitudes, des hommes banals qui ont sûrement arpenté ce canal de décharge, de la tristesse de ces abords abimés, on ne retient que la force de ce léger sentier qui pourrait avoir été façonné par des êtres fantastiques, à côté d’un fleuve-Dieu… Les détails des herbes ciselées qui se dressent, des cailloux ronds et blancs…
Tout le travail que Jacqueline Salmon a réalisé sur le Rhône et le sacré est en noir et blanc. De grandes photographies carrées, des décors d’un théâtre magique. Jamais la couleur ni la présence humaine ne deviennent nécessaires ; ce sont des signes qui, avant tout, sont recherchés. Des contours de créatures mythiques, des marques sur le sol inexpliquées, des croyances archaïques. L’homme n’est là que par reflets de son imaginaire.