Musée Réattu, Exposition Nuage
Questions à Jacqueline SALMON par Juliette LAGEYRE
11/04/2013
Dans le cadre de l'exposition Nuage qui s'ouvre en mai au musée Réattu, vous réalisez une oeuvre qui s'inscrit
dans la série des Cartes des Vents1, et qui sera en symbiose avec le lieu qui l'accueille et son magnétisme
particulier. Sur quelles connivences s'établit la relation entre votre oeuvre et l'ancien Grand Prieuré de Malte qui
abrite le musée ?
Ce serait plutôt une connivence avec la courbe du fleuve à cet endroit précis, et avec la série La raison de
l’ombre et des nuages que j’avais réalisée pour le musée Réattu et dont vous parlez plus loin.
Dix ans avant de concevoir Le temps qu'il fait/Le temps qu'il est 2, vous exposiez déjà, au musée Réattu, un travail
portant le titre évocateur de La raison de l'ombre et des nuages, où vous mettiez en parallèle le ciel nuageux et les
cryptoportiques de la ville d'Arles, entre monde souterrain et espace céleste. Avec Cartes des vents, vous êtes
résolument tournée vers les hauteurs, vers les flux atmosphériques que les nuages rendent perceptibles. Le
nuage est un vecteur mouvant, aux connotations multiples, quelle est en est votre interprétation ? Votre travail
actuel sur ce thème, à travers les Cartes des vents, diffère-t-il en ce sens des oeuvres de La raison de l'ombre et
des nuages?
Oui, en effet, il s’agissait de choisir un carré de ciel, comme un espace mouvant au dessus de la ville, et de faire
référence à ce carré de ciel originel que les augures auraient décrypté pour choisir l’emplacement de la ville.
Cette fois ci, nulle référence à la ville, on sera entraîné dans un ciel de peinture, un ciel qui n’existe pas, mais
qui donne à voir des flux, des étages lumineux surplombant le monde.
Par ailleurs, les diverses connotations symboliques du nuage semblent, dans les oeuvres de l'exposition Le temps
qu’il fait/ Le temps qu'il est, se confronter aux données scientifiques et sociétales qui y sont également
rattachées. Avez-vous entrepris cette démarche, qui met à l'épreuve les références « classiques » de l 'imaginaire
collectif associé aux phénomènes célestes tels que les nuages, dans le but d’extraire la signification graphique
pure de ces phénomènes atmosphériques ?
Il s’agit en fait d’un essai sur la représentation des flux, directement induit par le projet Géo/calligraphies que
j’avais fait au Québec en 2007-2008. On peut associer à cet essai l’oeuvre intitulée 40 variations des fronts
froids et chauds sur l’Europe de telle à telle date qui se décline en de multiples pages de grand format qui
forment une écriture du temps.
Il m’importe que ces « représentations » puissent se décrypter scientifiquement même si j’en fais une
interprétation personnelle. Les codes sont respectés, ou plutôt cités, et un météorologue pourrait y apprendre
quelque chose du temps qu’il faisait ces jours là.
Dans vos Cartes des vents vous combinez dessin et photographie pour la première fois. Cette démarche
témoigne-t-elle d'un désir de dépasser la photographie, de sortir de son cadre au sens propre comme au sens
figuré ?
Je n’ai pas pensé les choses ainsi, il est simplement intéressant de ne pas avoir de limite de principe lorsque
l’on a l’idée d’un projet : tout est bon, pour le traduire au plus juste. Mais il est vrai que c’est plus facile
aujourd’hui que dans les années 80 d’être reçue avec ce type de travail. En fait devenir photographe comme
cela s’est produit pour moi assez tard dans ma vie au début des années 1980 c’était soudain se contraindre à
des règles limitatives, je dirais monastiques, qui m’ont intéressées un certain temps. Je n’ai plus envie de me
priver.
Une photographie exprime un point de vue particulier puisque l’artiste est, selon vous, « le filtre du monde et de
ses réalités3 », et votre travail semble développer un langage essentiel, une traduction particulière des éléments
qui nous entourent, comme en témoigne la série Écritures. En élaborant ce qui apparaît comme une transcription
des données naturelles, voulez-vous questionner les fondements du langage en tant que création humaine ?
Votre question est particulièrement intéressante. Il se trouve que j’apprends le japonais et que cette étude est
certainement étroitement liée au regard que j’ai porté soudainement sur les cartes météorologiques. Les kanji
sont des images, des transcriptions du monde réel, comme le temple est une forêt, et les hiragana sont des
formes étrangement proches des écritures des courbes de pression.
[Les trois modes d'écriture du japonais sont les kanjis, les hiraganas et les katakanas]
Vous vous consacrez à la photographie mais vous avez également approfondi vos connaissances dans de
nombreux domaines comme l'histoire de la photographie, l'architecture, l'anthropologie mais également l'art
culinaire4, à la manière d'un scientifique. Comment ces savoirs viennent-ils enrichir votre pratique artistique ?
Au coup par coup, durant mes études, je me préparais à la scénographie, l’architecture et l’histoire tout comme
les arts plastiques étaient indispensables. La photographie est venue bien plus tard et est devenue une
manière de vivre, une autorisation à plonger dans tel ou tel univers. Tout comme l’écriture permet d’écrire des
romans des poèmes ou des traités d’histoire, la photographie a eu pour moi cette immense qualité de pouvoir
me présenter aux autres avec un seul dénominateur, alors qu’elle n’a fait que rassembler des élans des
curiosités des découvertes qui sans elle auraient donné l’image d’un esprit dispersé.
Bibliographie :
-Catalogue de l'exposition La raison de l'ombre et des nuages , texte de Jean Louis Schefer et Michèle Moutashar, Musée
Réattu, Arles, 1998
-Catalogue de l'exposition Le temps qu'il fait/ le temps qu'il est, texte de Michel Poivert, Maison des Arts Solange Baudoux,
Evreux, 2010
- Légumes, textes, photographies et recettes de cuisine, J.Salmon et R.Hammerstiel, Ed. Sud-Ouest, Bordeaux, 2011
-Site Internet de l'artiste : http://www.jacquelinesalmon.com/
-Entretien avec Jean Christian Fleury, Dans la nature, c'est l'eau qui voit, c'est l'eau qui rêve, janvier 2005
http://www.jacquelinesalmon.com/entretienpagefleury.htm/
1 Cartes des Vents : série de photographies de ciels nuageux sur lesquels sont tracées des nuées de traits qui pointent des
directions différentes et dessinent ainsi des courants ; appartenant à l'ensemble Le temps qu'il fait/Le temps qu'il est, Évreux,
2009-10.
2 Le temps qu'il fait/Le temps qu'il est : ensemble d’oeuvres réalisées par Jacqueline Salmon à l'occasion d'une résidence à la
Maison des Arts d’Évreux, 2009-10.
3 Entretien avec Jacqueline Salmon par Gilles Ribero, INHA, Séminaire de Michel Poivert, Le temps qu’il fait / Le temps
qu’il est, l’appareil photographique comme moyen de penser le monde (blog LeMonde.fr), 18 mars 2010.
http://gillesribero.blog.lemonde.fr/2010/03/18/entretien-avec-jacqueline-salmon/
4 Le musée Réattu a d'ailleurs récemment acquis deux photographies de la série La racine des légumes, initiée avec R.
Hammerstiel en 1998 : Chou-fleur et Radis du Japon.