Jacqueline Salmon
traboules blues
fête du 8 décembre à Lyon sur les pentes de la Croix Rousse, 1989
Nous avons lancé l’idée d’un parcours spectacle sur les pentes de la Croix-Rousse avec Yves Devraine le jour où je lui ai fait visiter les traboules qu’il ne connaissait pas. C’est le lieu de mon enfance, un quartier entre-deux : en haut le plateau, en bas la presqu’île, mais il est beaucoup plus que cela, il a une vraie identité, celle des pentes : des escaliers et des traboules pour dégringoler rapidement la colline, connus des seuls gens du cru. Les circulations transversales à travers des espaces privés mais ouverts, couloirs, cours et escaliers, rendent la vie plus facile. Les habitants de ce quartier en sont le reflet ; ils sont ouverts : intellectuels, artistes, vieux ouvriers de la soie un peu anars ou immigrés, ils se côtoient et aiment ce frottement quotidien des différences.
Les pentes sont aussi le berceau des histoires lyonnaises, un haut lieu de la résistance, de toutes les résistances. Aujourd’hui, à l’heure où la ville décide de sa réhabilitation, il lutte pour garder sa différence, j’aime cette lutte et, lorsque nous avons imaginé faire un spectacle de lumières dans ce quartier, j’ai voulu que les habitants en soient les acteurs, et que l’architecture en soit le décor.
Dans un récent voyage à Florence, j’ai vu un portique de l’urbaniste Poggio. Il s’agit d’une multiplication à l’horizontale de trois cerliennes. Or cet élément d’architecture que Cerlio avait repris de l’Antiquité est exactement celui de l’entrée du passage Thiaffait, rue Leynaud. En multipliant cette entrée par un montage de découpages photographiques, j’invente une architecture éphémère qui va devenir un décor. Partout dans les cours, sur les places, d’autres projections montraient la vie du quotidien ; un jeu s’est instauré ; les gens que je rencontrais régulièrement dans les rues, dans les cafés, sont devenus les acteurs d’une soirée à grand spectacle dont le sujet était leur vie et le décor leur quartier. Yves Devraine avait installé des orchestres, des projections laser, des porches de lumières. La musique de jazz s’entendait tout au long du parcours qui passait par la cour des Voraces.
Sur les grands portraits projetés, chacun se reconnaissait ou reconnaissait son voisin, l’ambiance était celle d’une vraie fête populaire. Le 8 décembre, les Lyonnais sortent traditionnellement dans la ville à la tombée du jour, mais pour la première fois on les a entraînés sur les pentes. On ne sait pas si 20 000 ou 30 000 personnes sont venues, mais pour la plupart d’entre elles c’était la première fois.
J.S.