Jacqueline Salmon
Géocalligraphies
projet pour une résidence d’artiste à VU, Québec
En 2002, j’ai découvert au musée Correr, à Venise, le cartographe Claes Janszoon Vooght. Il avait publié en 1795 l’atlas Della nuova, e grande iluminante face del Mare. Sur une double page, une succession de taches noires dissemblables plus ou moins allongées, alignées comme dans un cahier d’écriture, représentaient le profil des îles de la lagune. J’étais fascinée. « Jalouse » serait le terme le plus juste.
C’est en 2007, cinq ans plus tard, que j’ai pu grâce à une résidence au centre Vu réaliser ma propre page de profils des îles sur le Saint-Laurent entre Québec et Anticosti. Elle a une hauteur de 395 cm.
Parfois j’ai conservé des états accidentels ou intermédiaires du travail : la barque avance, tangue un peu, les îles sont grandes, ce qui nécessite de faire au moins deux prises de vue. Entre-temps, on a bougé. J’ai arrêté le processus du montage à un instant précis, lorsque tout à coup, devant l’écran d’ordinateur, je me trouve face à une image que je n’avais pas pressentie, et qui m’étonne. Je la conserve, je l’apprivoise et je la garde telle quelle. Au cours de ces voyages, j’apprends la difficulté de naviguer sur le Saint-Laurent, car les courants de marée sont violents. Je pense alors à un titre, Géocalligraphies, qui inclurait la représentation des flux invisibles. En 2008, je trouve enfin aux archives du parlement de Québec des cours de navigation des années 1960 où sont dessinés les courants de marée de quart d’heure en quart d’heure à différents endroits du fleuve et je peux réaliser la série des courants de marée. Je quitte le Québec en pensant : « Et le ciel » ? C’est un an plus tard, à Évreux, que je rencontre les météorologues qui vont m’apprendre à trouver et à lire les cartes des vents, puis à les dessiner moi-même sur mes propres photographies. Les premières, réalisées en 2009 à la Maison des arts Solange-Baudoux, sont des gravures à la pointe sèche. En 2013, Michèle Moutashar m’offre de grands murs dans son exposition Nuage au musée Réattu. Les cartes des vents sont alors dessinées à l’encre de Chine sur des tirages sur plusieurs mètres de papier Japon. Ce sont des cartes possibles de ciels impossibles. Puis j’ai réalisé à nouveau des gravures pour l’URDLA à Villeurbanne ou des dessins à l’encre de Chine pour l’Ar(t)senal à Dreux, l’Hôtel des Arts à Toulon et le MuMa au Havre.
J.S.