Jacqueline Salmon

Corps de plâtres

De 2000 à 2004, le musée des Monuments français à été dans un état de suspension du temps. L’ensemble des moulages, matière d’un ambitieux musée de sculpture comparée, était rassemblé par lots ésotériques dans les grandes salles vides promues à un nouveau destin. La future Cité de l’architecture qui allait s’installer là n’avait sans doute nul besoin de ces plâtres. Ils étaient provisoirement livrés à l’ordre ou au désordre du déménagement qui était leur destin immédiat. Je les ai rencontrés comme des êtres étonnamment présents. Dans leur solitude, ils avaient acquis une dimension humaine qu’ils n’avaient peut-être pas eue lorsque la muséographie les ordonnait dans une promenade pédagogique. Et dans ma propre solitude au sein de ces espaces immenses et désolés, je me sentais interpellée par leur présence, par leur souffrance, par leur vie énigmatique.

Et puis il y eut des corps de femmes déposés là, superbes, parfois cassés, toujours bouleversants. Il ne s’agissait plus de moulages de sculptures, mais de moulages de corps vivants. On voyait à leur surface la chair de poule, les craquelures de la respiration pourtant contenue, quelques poils qui avaient du faire souffrir à l’arrachage. Les positions étaient souvent intimes ; alanguies ou étirées, toujours préconisées par l’esthétique dix-neuviémiste.

J’ai photographié ces moulages devenus des modèles en pensant à ces femmes et à la réalité de l’instant où Geoffroy de Chaume, conservateur du lieu, pourvoyeur de modèles à destination des sculpteurs, avait moulé ces corps. Comment était-ce ? Quelles indications ? Quels gestes ? Quels sentiments ? Quels troubles... encore visibles à la surface de la peau ?

J.S.