La rade d’Hyères îles et presqu’ïle
marval, Paris, 1995
Elle lui demanda ce qu’il y avait de l’autre côté de la mer, et il lui répondit : « le monde ».
Gabriel Garcia Marquez
Alors que j’essaie de nommer l’émotion violente que j’ai éprouvée à l’arrivée du bateau dans la baie de Port-Cros, je ne me souviens pas de la sensation d’un retour, mais plutôt de celle d’une arrivée dans un pays natal. Arrivée telle qu’elle aurait pu être décrite dans d’anciennes mythologies : à l’issue d’une navigation, le voyageur, en quête de la connaissance, arrive dans un lieu jusqu’alors inconnu où sa vie aurait commencé longtemps avant sa naissance ; où tout pourrait recommencer.
Un ami me racontait que dans la langue japonaise, le mot qui traduisait celui de beauté , signifiait également tension …
Sur la presqu’île de Giens, sur l’île de Porquerolles, et sur celle de Port-Cros, j’ai été saisie par une évidence : celle de l’importance de la peinture japonaise dans les images que je désirais faire. La mémoire de ses formes épurées et tendues, construisait la structure mentale à partir de laquelle je pouvais transmettre ce que je ressentais là : une perception poétique du divin.
Et, alors que je regardais attentivement et photographiais cette nature que je ne connaissais pas, je pensais : la presqu’île est le lieu intermédiaire, déjà en retrait, encore relié au continent par un cordon de terre, d’eau et de sel. Les îles sont les lieux idéaux, images mythiques de l’Eden, que nous portons tous au centre de nous-mêmes ; elles sont pourtant d’une beauté sévère, façonnées par la violence des éléments, torturées par les vagues et par le vent. Parce que la mer les rehausse d’instants de pur bonheur visuel, elles nous charment d’abord, nous envoûtent. Puis, hors de la loi, du bruit et de l’agitation du monde, dans un état particulier de suspension du temps, nous y retrouvons une perception oubliée : celle de notre inscription dans un ordre cosmique.
Je me souviens de ces mots d’Edmond Jabès :
Il et son féminin île …
Quelles îles les hommes portent-ils en eux ? Quels espaces féminins, enfouis, indéfiniment vierges, lieux de tous les possibles recommencements.
Jacqueline Salmon, mai 1995.