Jacqueline Salmon

le temps qu'il est, le temps qu'il fait

résidence d'artiste maison des arts solange baudoux, évreux 2010

La maison des arts est un point sur la carte du monde vers lequel convergent des parcours. Des hommes et des femmes venus vers la France – pays des droits de l’homme –  avec  l’espoir d’une vie meilleure. Ils découvrent la ville et celle-ci tente de les apprivoiser par l’intermédiaire d’un programme d’insertion et une formation artistique à la maison des arts. Les nouveaux arrivés qui suivent le parcours « éducation et formation » ont été mes interlocuteurs privilégiés. Je leur ai d’abord demandé de me raconter et de me dessiner leur parcours. D’où venaient-ils et pourquoi étaient-ils partis ? La plupart étaient contents de s’être enfin posés sur un bout de terre qui ne les rejetait pas. Une première pensée m’était venue à l’esprit : « Ces hommes sont arrivés dans leur ville idéale. » La deuxième pensée était plutôt une question : « Pourquoi ne pas les regarder alors comme des princes ? » J’ai commencé à faire une série de portraits dans cet état d’esprit. C’est en regardant les tirages que j’ai soudain pensé à Piero della Francesca. Je dois dire ici qu’en 1993, j’avais soigneusement étudié les personnages des fresques de Piero della Francesca : position du visage, direction du regard, couleurs, modelé pour la réalisation d’un panoramique d’une cinquantaine de mètres relatant le chantier de construction du Palais de justice de Melun. Il est probable que ma mémoire avait travaillé à mon insu. Je suis allée ouvrir mon livre, celui des années 1960 : Le Piero della Francesca de Longhi de ma jeunesse avec nombre de ses illustrations en noir et blanc comme cela se faisait à l’époque. Longhi avait lui-même choisi de recadrer certaines fresques sur les visages, on sentait qu’il insistait sur des identités de personnages réels à l’opposé d’autres artistes comme Giotto ou Fra Angelico dont les portraits étaient des stéréotypes. J’ai agrandi et imprimé les portraits cadrés par Longhi. Ces gens, ceux que j’avais photographiés, étaient les mêmes, et cette lignée humaine  m’a bouleversée.

En écho aux phénomènes atmosphériques du « temps qu’il fait », j’ai désiré donner le titre de Constellations aux données extraites de cartes géopolitiques publiées, accessibles.
Dans la succession de ces constellations, on repère très vite l’espace géographique sous-tendu. Ce que je désire montrer, c’est l’éclatement, la dispersion, la mondialisation de tous ces faits contemporains. Successivement : l’esclavage des enfants, les soixante-dix paradis fiscaux, les zones d’expulsion de l‘Union européenne — qui dépassent largement les frontières du continent —, la défense nucléaire française — je n’aurais jamais imaginé qu’il y ait une telle profusion, une telle dissémination des lieux où existent des installations ou des déchets nucléaires militaires —, la fabrication d’armes chimiques ou biologiques à travers le monde, y compris aux États Unis, le schéma des transferts de l’argent du pétrole, la progressions des morts en transit de 1998 à 2009.
Un concentré presque abstrait qui permet de réfléchir sur le monde dans lequel on vit aujourd’hui.

J.S.