Monseigneur le duc d'Harcourt

Traité de la décoration des dehors des jardins et des parcs

1776

Extrait du texte lu par Jacqueline Salmon dans l'exposition Le jardin de Méréville

Chaque saison a ses productions, ses beautés, ses inconvénients. Quelques-uns de ces attributs leur sont communs, comme le gazon, les eaux, les arbres verts. D'autres leur sont particuliers, comme les fleurs, les grains, les feuilles. On ne peut pas espérer de jouir dans une saison de ce qui est particulier à une autre. La température change les heures de la promenade, le spectacle intéressant de la nature et la situation de l'âme. On consulte le climat, l'exposition, le terrain, en, consultant de même les saisons, on soutiendra plus longtemps le ton des tableaux et lorsque le temps de l'un sera fini, un autre succédera dans toute sa perfection.


JARDINS D' HIVER

Dans cette saison où la nature semble morte, où tout est sec, empaillé, couvert, on est découragé de jardiner et paresseux de se promener comme si l'engourdissement physique influait sur le moral; cependant, il y a peu de difficultés à vaincre pour se procurer encore l'agrément qu'on peut demander aux jardins. Le jardin d'hiver demande que l'on choisisse l'exposition du levant et du midi parce que l'heure de la promenade et celle du soleil l'exigent. Dès qu'il paraît on sort, et c'est toujours entre dix et deux heures.
Les anciens comptaient l'hiver parmi leurs divinités allégoriques et le représentaient dans une grotte défendue de l'intempérie sous la figure d'un vieillard près d'un brasier. Voilà la matière.... On serait conduit à cette demeure par un sentier principal, en parsemant de loin en loin quelques termes, quelques monuments, en ménageant un ou deux points de vue sur un obélisque, sur quelque autre objet de ce genre parce qu'il faut bien recourir aux ornements factices en cette saison. Les arbustes, les arbres verts et le gazon garniraient le sol assez pour qu'il soit cultivé partout: lez premiers rayons du soleil donnent à ce genre de jardin l'illusion du printemps. En approchant on distribuerait le peu de fleurs du moment et les plus grands arbres s' épaissiraient , se courberaient pour abriter la grotte....Cette grotte, par des détails, par la manière de la frapper de lumière, d'y poser la statue de l'Hiver et quelques attributs, par la transition subite de sa rusticité à des objets agréables, peut faire un effet très piquant. En sortant, l'art est de disposer, les sentiers du retour de manière à soutenir l'intérêt par des objets moindres, quelques groupes, quelque abri ingénieusement composé, de les faire arriver enfin à quelque partie décorée par l'architecture, de la maison, qui fasse encore un point de vue. On isole souvent une chapelle dans un pavillon, en lui donnant la façade d'un petit temple dont le péristyle se présenterait à quelque distance; on tournerait encore au profit de la décoration un bâtiment nécessaire et qui doit être noble.
Il n'est point de règle générale sur une matière variable à l'infini, ces idées sont un simple canevas pour faire sentir la manière de traiter les sujets. Nulles servitudes n'est à craindre, nulle routine n'est à éviter. Il suffit de se débarrasser des entraves de la symétrie et du préjugé. C'est bien servir l'imagination que de la livrer à elle-même. Si cette liberté produit du caprice, du faux quelquefois, elle produira souvent du grand et toujours du neuf.


JARDINS DE PRINTEMPS

Il est moins difficile de peindre en cette saison, la plus fraîche et la plus parée de l'année; les secours de la nature dans sa jeunesse sont abondants. Le choix et la distribution ont le même mérite. Il faut sentir comme la nature; en prendre l'esprit et la couleur, prêter à ses tableaux l'activité de tous les êtres, pour ne jamais cesser d'être conséquent dans ses compositions. Le jardin de printemps demande l'exposition du midi et du couchant, le soleil n'ayant pas encore tant de force qu'on en soit incommodé, en a cependant assez, pour désirer d'en jouir aussi longtemps qu'il est sur l'horizon. On échappe à l'ennui de l'hiver, les individus sont en pleine force, la chaleur n'abat point encore, on entreprend ,on parcourt avec ardeur. La campagne est riante, l'horizon coloré, les arbres, n'étant pas encore touffus, laissent plus de jour aux échappées que le soleil frappe vivement de lumière, tout est spectacle pour les yeux. Le gazon est dans sa beauté, le sol n'en peut être trop tapissé; on évitera la monotonie d'une immense verdure par les rares isolés, les bouquets épars dans les places où l'herbe vient mal, sur les tertres près des ruisseaux. les eaux sont toujours agréables, moins indispensables que lors des chaleurs; les sources, les ruisseaux conviennent mieux parce que , comme on orne précieusement les approches de la maison, une rivière large qui se traite avec moins de détails doit être tenue éloignée pour servir à la vue plutôt qu'à la curiosité.


JARDINS D' ÉTÉ

Le coloris de l'été moins frais que celui du printemps est plus brillant, plus doré, toutes les nuances de vert sont répandues sur les feuilles, et les fruits remplacent les fleurs. Le jardin d'été demande de préférence l'exposition du levant et du couchant; en passant le matin dans une partie , le soir dans une autre, on évitera toute la chaleur du jour. On a beaucoup d'heures à donner à la promenade, il faut suivre le cours des eaux, pénétrer le fond des bois, et presque toujours on rentre avec regret. Le terrain le plus favorable est celui qui rassemble des eaux, des bois, des coteaux qui parent du soleil, des vallons où l'air est plus frais; point d'escarpement, de difficultés à vaincre, c'est assez de résister à la chaleur. Les eaux sont dans leur saison, elles jouent le premier rôle avec les bocages, on doit les multiplier, les varier, leur humidité n'est pas à craindre, leur fraîcheur est à désirer, leur bruit excite le désir de s'en approcher. La vue des chutes à travers les arbres; argentées par le soleil, inspire le même intérêt. L'ombre borde les rivages, offrent l'occasion de se reposer et le repos doit promptement succéder au plaisir pour éloigner la fatigue de la grande chaleur. Le style des édifices et le sujet de la composition seront voluptueux. Les grottes brilleront de l'éclat de la nacre, du corail et des cristaux.


JARDINS D' AUTOMNE

L'automne est dans notre climat la saison la plus communément assurée, cependant comme elle approche du temps où tous les végétaux s'engourdissent, où l'existence du plus grand nombre est interrompue, les jardins sont assez difficile à traiter. Le ton de cette saison est très bon pour le paysage, les feuilles qui se conservent l'hiver sont d'un vert brun, celles qui se fanent à son approche sont jaunes ou rouges, leur coloris est souvent si décidé qu'on accuse les peintres qui l'imitent d'avoir outré les effets de la nature. Le jardin d'automne demande l'exposition du midi et du couchant pour profiter de tous les temps où le soleil échauffe l'atmosphère. L'espace peut être considérable car c'est pet-être le temps de toute l'année où l'on est le plus disposé à s'éloigner puisque la chaleur n'est plus à craindre et que le froid ne l'est pas encore. Les ornements factices qui doivent toujours tenir du genre du jardin seront d'une grande manière puisqu'il est très espacé et qu'ils pourront être vus de loin. La composition doit être noble , simple, sans sévérité
.... Il a fallu nécessairement prouver que sans offenser la nature, sans lui voler ses ornements pour en abuser et la chasser ensuite, il est possible d' exécuter de grands morceaux de décoration; que la perfection de l'art est plus dans l'imitation de la nature que dans la sécheresse de la régularité; que cette même nature enfin est infiniment belle, quand elle est infiniment libre.