Jacqueline Salmon

La racine des légumes

in: Catalogue Musée du Revermont, 2012

pages 2 et 3



Hong Zicheng, philosophie de la dynastie Ming, a donné pour titre à son recueil de pensées : Propos sur la racine des légumes.

C’est pour moi une série très importante, quasi autobiographique. On peut la regarder comme une métaphore des âges simultanés de la vie que l’on porte en soi : splendide maturité du potiron alors que l’ensemble de la plante est quasi desséchée et que malgré tout, au bout des tiges rampantes, on peut encore trouver un bourgeon, une fleur. C’est aussi un essai sur la représentation de la partie cachée et essentielle de chaque vie. Je suis une passionnée de botanique et cela faisait longtemps que je cherchais comment utiliser la photographie dans ce domaine et il m’a semblé qu’une chose aussi simple que l’apparence d’un légume dans son intégralité nous était inconnue.

J’avais demandé à Robert F. Hammerstiel d’être mon assistant dans ce travail qu’il fallait faire à la chambre 4 x 5 inches, et que je ne pouvais pas réaliser seule, et il avait accepté. Les légumes sont cultivés par Gilles Béréziat à la ferme des Bioux à Buellas près de Bourg-en-Bresse. Ses légumes m’avaient époustouflée un jour sur un marché de l’Ain. Ce travail a duré plus de deux années, car il nous manquait des espèces, et une amitié s‘était installée avec le maraîcher et sa famille. Nous décidions parfois ensemble des variétés manquantes. Il nous avertissait lorsque les poireaux, les choux, les aubergines arrivaient à maturité. Il fallait alors partir pour Buellas, puis parcourir les champs, choisir les légumes, les déterrer, les transporter dans un studio improvisé sous le hangar à l’abri du soleil direct qui les aurait fanés en quelques minutes. Robert avait construit un échafaudage de caisses de pommes de terre sur lequel il grimpait, la chambre était ainsi suspendue au-dessus du sol soigneusement balayé sur lequel je disposais la plante. Il fallait alors lui redonner du volume avec tout un jeu de petites épingles, boules, cubes, branchettes, puis nettoyer les racines avec un pinceau, retirer toute la terre à sec, pour que les radicelles ne se collent pas les unes aux autres et qu’aucune goutte d’eau ne vienne tacher le sol.

C’est alors que commençait le travail précis du cadrage, puis celui de la mesure de lumière que nous faisions chacun à notre manière. Depuis le sol où j’étais accroupie, j’imaginais l’image, rectifiais la position d’une tige. Perché au-dessus de moi, Robert rectifiait le cadre, me faisait déplacer une feuille, parfois toute la plante. À l’époque, on ne pensait pas encore en termes de numérisation des images ou de retouche avec Photoshop. On a donc réalisé les photographies en couleurs et en noir et blanc pour avoir le choix ultérieurement.

J.S.