La méthode de la ferme des bioux

La Ferme des Bioux, propriété de Gilles et Christine Béréziat, est une exploitation maraîchère implantée au cœur de la Bresse, à Buellas. L’équipe qui travaille sur l’exploitation est soudée et efficace. La ferme compte deux salariées à temps complet, une autre à mi-temps et, l’été, deux saisonniers. Quatre autres personnes sont employées pour le marché du samedi matin à Bourg-en-Bresse.FERME DES BIOU-2
Monsieur Béréziat père travaille à temps complet aux cultures, et son aide est pré- cieuse. Gilles et Christine se sentent soutenus et en confiance.
Gilles est issu du monde agricole mais sa famille n’a jamais possédé ses propres terres. À 5 ans, il fait ses premiers marchés et, dès 7 à 8 ans, il est sur le tracteur. Il devient tour à tour maraîcher avec son père pour le compte d’un tiers, primeur et édu- cateur. Rapidement, Gilles s’aperçoit qu’il veut retourner à la terre mais en travaillant pour son propre compte. En 1996, il achète la Ferme des Bioux et y implante des serres pour mettre en pratique ses idées sur le métier de maraîcher.
Sa femme, Christine, ancienne chevrière, partage cette même passion du monde agricole. Ensemble, ils construisent leur vie autour de leurs nouveaux projets. Gilles, passionné de rugby depuis l’adolescence, continue à vivre au rythme de l’équipe locale, à laquelle il consacre une joyeuse énergie.
Gilles et Christine exploitent environ 6 hectares de terre dont 1 hectare consacré à la culture en serres froides. Ils travaillent dans un esprit de gestion efficace de l’espace, du temps et de l’énergie des hommes, en mécanisant le moins possible.
La culture sous serre présente beaucoup d’avantages mais c’est aussi une attention de tous les jours, notamment pour le contrôle de la chaleur, de l’aération et de l’arrosage, ainsi qu’un calcul de l’espace très précis.
Leur souci est de produire de la qualité pour présenter sur leur étal de superbes lé- gumes, soigneusement cultivés et récoltés.
Le calendrier des saisons est le fil conducteur de leur production; il est totalement respecté pour produire une quarantaine de va- riétés de légumes: – en hiver, bettes, mâche, épinards, pain de sucre (chicorée), choux, navets, poireaux, courges; – au printemps, salades, mâche, épinards, pe- tits pois, bettes, pommes de terre nouvelles, radis. Gilles a fait le choix de ne plus avoir de radis en été car la chaleur les rend plus délicats et plus exigeants en eau pour ne pas être piquants. De même, la Ferme des Bioux ne cultive plus de fèves car elles demandent trop de traitements;
– en été, tomates, melons, courgettes, aubergines, poivrons, piments doux, oignons blancs, haricots verts;
– en automne, choux-fleurs, brocolis, choux, potimarrons, frisées, scaroles, épinards, mâche, bettes.
Respecter les pleines saisons de maturité naturelle des légumes est l’assurance d’avoir les meilleures conditions de culture et le meilleur goût. Et, tout en conservant la notion essentielle de saveur, la culture sous serre assure une quasi-certitude d’avoir des plants en bonne santé
– à l’extérieur, la météo peut rapidement tout faire déraper  et permet aussi de mieux maîtriser la maturité des légumes grâce au contrôle de l’arrivée de l’air dans les tunnels. C’est ainsi qu’il est possible d’accélérer ou de ralentir la levée des plants, sans pour autant les forcer.
Pour polliniser naturellement dans les serres, une ruchette de bourdons est introduite dans les cultures de fraises, de tomates et de courgettes dès qu’elles sont en fleur. Cette ruche stérile va faire son of- fice pendant deux mois et s’éteindre naturellement sans faire de mère.FERME DES BIOU-3

La gestion de l’espace, sous serre comme à l’extérieur, est également primordiale pour optimiser la surface. La rotation des cultures est effective tous les ans: dans la même serre, on ne trouvera jamais le même légume à la même place d’une année sur l’autre. Le choix de l’emplacement des variétés est un paramètre qui entre aussi en ligne de compte: les melons, par exemple, sont tenus systématiquement à longue distance des courges, sans quoi le goût du melon est totalement dégradé et perd toute sa saveur fruitée et sucrée.

Gilles et Christine veillent à installer de façon stratégique les cultures qui restent en place plus longtemps. Ainsi, les blettes sont mises en serre dès le 15 août, les premières côtes sont ramassées au mois de septembre mais les plants restent en terre pendant sept à huit mois au cours desquels plusieurs ré- coltes ont lieu. Les crosnes légume tubéreux réputé en Bresse et cultivé depuis trente ans par la famille Béréziat se plantent au mois de mars et se consomment pour les fêtes de fin d’année. Il faut donc leur attribuer un espace qui leur permettra de se développer sans gêner les autres légumes.

La lutte contre l’herbe, qui envahit toutes les formes de cultures, est incessante. Pour ne pas avoir recours aux produits chimiques, la Ferme des Bioux utilise principalement le système du paillage. C’est une technique simple et efficace qui vise à couvrir le sol d’un matériau opaque pour empêcher l’herbe de pousser. Gilles utilise un plastique, biodégradable ou non, qu’il étale à même le sol sur la totalité de la surface à cultiver, que ce soit en serre ou en plein champ.
Pour tout maraîcher, traiter ou non avec des produits chimiques est une question essen- tielle qui est le reflet d’une réflexion glo- bale sur la façon d’envisager l’agriculture. Gilles et Christine essaient depuis toujours de travailler le plus naturellement possible (90 % de la production totale ne reçoit aucun traitement chimique). Le principe du paillage pour lutter contre la mauvaise herbe répond à cette dynamique car cela leur permet d’éliminer le problème. Mais ils sont forcés de s’accorder une marge de sécurité en matière de traitement, notamment pour la culture des pommes de terre car aucun produit biologique n’a fait ses preuves contre une attaque de doryphores ou de mildiou.

La production de la ferme n’est donc pas labellisée bio. Pourtant, tous les efforts sont faits pour constamment prévenir les maladies et problèmes avec des solutions naturelles. Pour certaines attaques d’insectes, des auxiliaires sont introduits dans les serres: ce sont des organismes vivants (ennemis naturels du nuisible installé) qui combattent instinctivement la cible qu’on leur offre. La mise en place de cette lutte biologique permet de prévenir ou de réduire les dégâts. Il est aussi possible d’utiliser des insecticides bio, mais on ne peut pas cumuler ces produits avec les auxiliaires.
En plein air sont utilisés en priorité les purins, notamment ceux d’ortie, de fougère et de prèle. Le purin d’ortie fertilise en apportant la silice, le purin de fougère éloigne le puceron. Le feuillage du basilic a ce même pouvoir répulsif lorsqu’il est régulièrement agité et qu’il diffuse son odeur dans les serres. De nombreux pieds de cette plante aromatique y sont donc disséminés.
À l’extérieur, Gilles traite au cuivre (bouillie bordelaise ou cuivre naturel) pour le mildiou et au soufre naturel pour l’oïdium. Selon la maladie à traiter, des mélanges détonants de purin d’ortie, purin de prèle et cuivre ou soufre peuvent être vaporisés pour être plus efficaces.

La Ferme des Bioux travaille peu en biodynamie. Seules les pommes de terre sont mises en terre selon le calendrier lunaire. On ne sème pas non plus lorsque la lune est rousse; l’air est alors particulièrement pur et les écarts de températures peuvent être importants. Les anciennes générations savaient planter en observant la nature, mais elles étaient moins expertes en techniques naturelles. Ce nouveau savoir-faire permet de prendre ses distances face au calendrier lunaire.

FERME DES BIOU-6Gilles a constaté qu’à force d’agir en prévention (avec les purins, notamment) et en traitant le plus naturellement possible il subissait de moins en moins de grosses attaques. Suivre une façon de procéder sur la durée permet de garder un équilibre, au plus près de la nature et sans être forcément labellisé bio. Il n’existe pas, aujourd’hui, de vocable pour exprimer ce type d’agriculture. Gilles et Christine veulent mettre en œuvre leur propre savoir-faire établi sur une longue expérience, une exigence maximale et un engagement de tous les instants.
Le terme « naturel » est celui qui, à leurs yeux, caractérise le mieux leur démarche, mais il n’est pas connu du grand public. L’agriculture « traditionnelle », qu’ils utilisent faute de mieux, évoque un savoir- faire ancestral mais ne prend pas en compte les avancées de la recherche biologique. L’agriculture biologique a, quant à elle, un cahier des charges trop contraignant. Gilles et Christine concluent avec un grand sourire: c’est la méthode de la Ferme des Bioux!
Pour nourrir la terre, ils apportent des amendements en matière organique (fumier, compost) en complétant, selon les besoins spécifiques de chaque légume, en potasse, azote, phosphore, oligo-éléments... Associer ces deux apports est indispensable et permet à la terre de ne pas s’appauvrir.

Les fumiers doivent être sélectionnés en fonction de leur nature: un fumier de poules, par exemple, est très bon mais très acide. Les cendres de cheminée sont également acides et doivent être issues d’un bois sain, non traité. Tout a son importance.
La Ferme des Bioux achète ses plants chez un producteur pour l’essentiel des cultures et reçoit les pieds de légumes en godets prêts à être mis en terre. Seuls les semis de tomates à variétés particulières sont mis à lever sur l’exploitation, dans une serre réservée à cet usage. C’est aussi le cas pour certaines courges, ainsi que pour les piments doux et le basilic. Les graines sont alors achetées chez un artisan semencier biologique.
Acheter des plants est bien plus rentable que faire ses propres semis. Qui plus est, le contrôle de leur qualité et de leur traçabilité est total car les fournisseurs obéissent aux demandes précises du maraîcher.
Toujours dans le même souci d’efficacité et d’économie d’argent, de temps et d’énergie, la question de l’arrosage a été très étudiée. La ferme a atteint le but qu’elle s’était fixé: être en autonomie complète grâce à une retenue d’eau naturelle (3000 m3) et à un circuit de pompes qui alimente toutes les cultures de la propriété en souterrain. Il a fallu douze ans pour mettre en place ce réseau.
L’arrosage est adapté aux besoins de la plante: certaines cultures sont arrosées au goutte-à-goutte (au sol), d’autres avec les jets en hauteur.

Pour Gilles et Christine, vendre les légumes est un combat difficile à mener. Ils sont investis dans plusieurs réseaux de com- mercialisation: en direct sur l’exploitation deux jours par semaine; sur l’important marché de Bourg-en-Bresse le samedi matin, où quatre employés travaillent; et, enfin, dans quatre points de vente collectifs (un cinquième est à l’étude) gérés par les produc- teurs eux-mêmes qui se regroupent et assurent des permanences à tour de rôle.
C’est dans ces commerces que la production est la plus valorisée: le client dispose d’une large gamme de denrées locales extrafraîches. Ici, le lien entre les consommateurs et les agriculteurs se recrée. Dans les boutiques, la présence de la clientèle est également moins aléatoire: qu’il pleuve ou qu’il neige, le chaland vient faire ses courses. Au marché, le temps détermine le succès des ventes: ce paramètre rend difficile l’écoulement de la marchandise en certaines périodes. Avec les revenus plus réguliers que ces points de vente assurent, l’exploitation vit correc- tement. De plus, grâce à cela, les banques répondent mieux aux demandes.
Les marchés, quant à eux, sont plus ou moins rentables. Une journée de travail dans la Ferme des Bioux peut faire facilement 12h; si l’on ajoute à cela plusieurs marchés (lever à 3h30, installation sur place à 5 h, vente, retour et suite de la journée à la ferme), la fatigue prend vite le dessus. Malgré tout, le marché de proximité est primordial pour la relation avec la clientèle. Le rapport privilégié et les discussions partagées dans ces moments-là font gagner en confiance et en motivation pour avancer. En associant ces trois formules de commercialisation, la vie s’organise mieux.

Pour compléter sa gamme de produits, sans augmenter la surface à exploiter, la Ferme des Bioux s’est lancée dans la transformation de légumes en plats préparés. C’est aujourd’hui devenu une part d’activité non négligeable de l’exploitation. Au départ, le simple amour de la cuisine a conduit Gilles et Christine à faire quelques soupes et quelques gratins de légumes... Grâce à l’expérience de Christine avec son laboratoire de fromages de chèvre, ils ont investi dans du matériel pour réaliser des préparations à plus grande échelle et dans des conditions professionnelles.

Là encore, la qualité est le seul critère qui prime pour le choix des ingrédients qui composent les préparations: la crème gastro- nomique d’Etrez, par exemple, est la seule qu’ils utilisent pour les gratins car sa douceur est incomparable.
Cette nouvelle spécialité assure à la ferme un complément de revenus et permet d’utiliser environ 20 % de la production totale de légumes frais. Naturellement, l’investissement personnel est lourd et il faut puiser dans les ressources mais la motivation est là, car c’est à l’avenir que Gilles et Christine pensent, à celui de l’exploitation et au confort de vie de toute l’équipe.
C’est souvent en hiver – moment calme de l’année – que mûrissent les projets et les nouvelles idées de valorisation de l’activité, comme la culture des pleurotes. Gilles et Christine ont aménagé une cave à champignons attenante à la maison. Les bottes com- posées de paille déjà ensemencée sont prêtes
à produire lorsqu’elles arrivent à la ferme. La récolte a lieu tous les dimanches. Les pleurotes sont un produit frais de plus à proposer sur l’étal, les clients y sont sensibles et les ventes sont bonnes. Gilles envisage d’utiliser ces champignons pour les plats préparés et pense aussi à produire du shiitaké (lentin en français).

La main-d’œuvre est nombreuse sur la ferme car rien n’est mécanisé et la production ne peut pas être vendue en tarification bio. Le prix appliqué est donc le prix « classique » qui est défini par la loi du marché, selon l’abondance ou la primeur des produits.
Certains exploitants cassent parfois les prix en pleine production parce qu’ils se fixent des objectifs de quantités qu’ils doivent écouler quoi qu’il arrive. Cette pratique-là déséquilibre le marché et fausse les prix. Seule la vente directe permet de vendre le légume à son coût réel. Avec ces tarifs variables qui lui sont proposés, le consommateur ne sait pas toujours pourquoi il paierait plus cher. Gilles et Christine s’emploient tout particulièrement à éclairer leurs clients. Ils font un énorme effort de communication dans ce sens, notamment en diffusant en boucle sur les marchés et les points de vente directs une vidéo qui explique que le prix se justifie par la qualité et le soin apporté à leurs cultures. La conscience du consommateur s’éveille mais ce n’est pas une évidence pour la majorité, loin de là. La vente en supermarché reste très présente et c’est aussi une question de pouvoir d’achat.
Certains légumes deviennent difficiles à produire. Le navet, notamment, intéresse de moins en moins: il est sujet à beaucoup d’attaques d’insectes, délicat à vendre et se récolte péniblement dans la boue. Le poireau demande aussi de nombreuses manipulations pour au final être vendu presque à perte.

Une quarantaine de légumes sont produits annuellement à la Ferme des Bioux; les maraîchers qui fournissent le marché de gros sont beaucoup plus spécialisés, ils se consacrent à cinq ou six légumes et inondent les revendeurs avec des quantités faramineuses. Ils sont ainsi tributaires des grandes surfaces et des coopératives, qui imposent leurs prix. Il est difficile pour la Ferme des Bioux de résister avec le coût de la vie qui augmente et celui des légumes qui stagne.
Cependant, la Ferme des Bioux est déterminée à rester une entreprise à taille humaine où le respect de l’individu et la valorisation du produit priment. Gilles et Christine ont le sentiment d’aller dans le bon sens. Leur quotidien est celui d’agriculteurs modernes concernés par l’environnement et la qualité de ce qu’ils produisent et mangent. À la Ferme des Bioux, la terre et les légumes sont sains, c’est là toute leur fierté.

Sans aucune subvention, ils se battent pour un rapport direct entre la production, la cueillette, la vente et la consommation afin de rétablir le bon ordre des choses et de redonner tout son sens au circuit court, qui permet un juste prix, un meilleur goût et une reconnaissance du travail bien fait.

Bien que certaines tâches soient particulièrement rudes, d’autres sont très attendues comme la cueillette des melons ou le choix des variétés de tomates, que Gilles et Christine ne délèguent à personne d’autre. Le plaisir au travail demeure ainsi intact.
Cette vie à la ferme est une combinaison des contraintes que l’on accepte et des moments agréables que l’on se choisit, avec toujours la conviction profonde qu’un jour cette pugnacité sera payée en retour.

Propos recueillis à la ferme par Catherine Dubreil et Jeanne Duprat, initiatrices du livre aux éditions Sud Ouest et qui accompagnaient Jacqueline Salmon les 25 et 26 mars 2011.

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