Archives pour un autre catalogue

in: art press 2 la photographie un art en transition - carte blanche septembre 2014

Après 35 années de pratique, j'ai archivées  des milliers de photographies par sujets.
Parmi elles, un tiers environ ont été tirées exposées, publiées.  Quelques centaines restent dans les mémoires. Ce sont ces images détachées de leur sujet et qui flottent à la surface qu' il m'intéresse aujourd'hui de regarder et d'organiser librement.
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En effet depuis le début de cette pratique en 1980, et dans le but d'utiliser la photographie comme un mode d'écriture,  je ne me suis intéressée qu'à traiter des sujets, jusqu'à reléguer dans une boite commune toutes les photographies que je considérais comme périphériques, comme des images en attente au service éventuel d'une nouvelle idée.
Or, depuis mon enfance, je collectionne des images, reproductions, cartes postales rangées par thèmes, et qui pourraient s'apparenter à bien moindre niveau à l'atlas Mnemosyne d' Aby  Warburg mis en lumière par le travail de Georges Didi Huberman. Ses deux dernières expositions Histoires de fantômes pour grandes personnes au Fresnoy puis au Palais de Tokyo ont été l'élément déclencheur d'un désir de travailler les archives de mes propres images.
Je crois cependant devoir encore plus à l'exposition de l'atlas de Gerhard Richter au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris en 1981. Autre type de classement par thèmes, périodes, prises de vues successives.
Je tente aujourd'hui,  à partir du  "travail à la table" préconisé  par Georges Didi- Huberman pour l'élaboration d'une telle entreprise,  l'expérience  d' une classification selon un principe  radicalement différent.  
Comment savoir qu'un travail est terminé?  Pour répondre à cette question j'ai analysé ce qui se jouait de manière intuitive dans chacune de mes séries, et j'en suis venue à cette réponse: Le travail est terminé non seulement lorsque le sujet est traité dans les multiples dimensions que je lui accorde, mais lorsqu'un nombre suffisant d'allusions  à des auteurs, des mouvements philosophiques,  cinématographiques ou littéraire sont devenus lisibles en 4arrière plan.
Ainsi, je dois à Jean-Louis Schefer de tenter des photographies ouvertes à fort contenu sémantique , à  Andrei  Tarkovski une obsession pour  les miroirs et l'eau dans les lieux construits, à Kazimir Malévich une jouissance à capter un carré noir ou un carré blanc sur fond blanc, à Pina Bausch de voir les animaux dans des espaces improbables, à Giorgio De Chirico la prise en compte des perspectives et de leur symbolique, à John Cage  des compositions par touches minimales, à Antoni Tàpies de barrer de signes noirs des premiers plans, à François Morellet d'affiner l'adjacences de formes, à John Constable à Eugène Boudin mon intérêt pour les nuages, à Hubert Damisch les sols en damier et à et Johannes Vermeer les perspectives emboîtées, aux costumes de la Rome antique l'esthétique des drapés,, à Lawrence Wiener les installations d'objets alignés,  à Goethe une fascination pour les réalisations des apprentis sorciers du nucléaire, à Jean-Louis Garnell les photographies de désordres à Edgard Poe la vie propre des ombres, à Bachelard la poétiques des espaces, à la peinture chinoise l'intérêt du vide et des flux et à l'histoire de ma vie peut-être un intérêt pour ce qui est cassé...
C'est aujourd'hui autour de ce type de classement, à l'instigation de Régis Durand qui a vu des assemblages d' images sur ma table d'atelier, que  j'élabore la constitution de "tas" de photographies dépouillées de leur sujet et de leur contenu documentaire,  afin de voir s'il en émerge quelque chose.

Jacqueline Salmon