Claire Peillod

Traboules Blues

Entretien entre Jacqueline Salmon et Claire Peillod, image – images , serl, Lyon 1990

Claire Peillod :

- comment ce type de commande sur un quartier s’inscrit-il dans ton travail de photographe puisque tu n’es pas reporter mais artiste ?

Jacqueline Salmon :

- Tu sais que mon sujet de prédilection est l’architecture et tout ce qui tourne autour de l’histoire de l’espace construit qui est pour moi la concrétisation de la pensée, de l’ambition ou des besoins des hommes. Après le livre 8 rue juiverie, où je prenais comme symbole de la destinée d’une maison l’hôtel Philibert de l’Orme, c’était très excitant de pouvoir prendre tout un quartier comme sujet.

Claire Peillod :

- au delà de la demande, qu’as-tu découvert pendant les mois de reportage, qui fasse que tu t’appropries complètements ce travail ?

Jacqueline Salmon :

- Que les questions que l’on pose sur l’urbanisme sont celles que l’on devrait se poser sur les gens qui sont là, qui ont façonné un quartier, comment le quartier les a rassemblés. Les Pentes de la Croix-Rousse sont étonnantes, elles ont suscité une sorte de philosophie du quotidien, j’ai découvert une nouvelle forme d’humanisme, moins intellectuelle, plus sensible. (...)

Claire Peillod :

- De quoi est constituée l’identité de cet espace urbain qui est plus un « entre-deux » (entre le plateau et la presqu’île) qu’un espace à part entière ?

Jacqueline Salmon :

- Il y a une réponse simple : se sont des pentes ; des escaliers et des traboules pour dégringoler rapidement la colline. Les traboules sont l’effet d’une mentalité : des espaces privés rendus publics pour la commodité de la vie quotidienne. Les gens qui habitent là en sont le reflet : ils sont ouverts. Intellectuels, artistes, commerçants, artisans et immigrés se côtoient et aiment ce frottement quotidien des différences. Je le sais pour l’avoir vécu dans mon enfance. C’est aussi le berceau des histoires lyonnaises, un haut lieu de la résistance. Il l’est encore aujourd’hui dans la mesure ou il lutte pour faire accepter sa différence. J’aime cette lutte et je me reconnais dans cette attitude.

Claire Peillod :

- Les montages d’images que tu as réalisés pour être projetés sur les façades pendant le spectacle Traboules Blues visent à métamorphoser les maisons en monuments, mais cette illusion ne correspond-elle pas à une réalité des Pentes. En quoi le spectacle jouait comme révélateur et non comme maquillage du quartier ?

Jacqueline Salmon :

- Je crois qu’il y a eu quelque chose de particulier, une complicité avec les habitants. Durant les mois de reportage, l’ambiance était chaleureuse, je me sentais très acceptée, je crois que tous les portraits en témoignent. Un jeu s’est instauré ; les gens que je rencontrais régulièrement dans les rues, dans les cafés, sont devenus les acteurs d’une soirée à grand spectacle dont le sujet était leur vie et le décor leur quartier. »