Jean Gabriel Cosculluela

non sans

collection résonances, Filigranes éditions, 2003

l’effacement corps pas de corps pas corps dehors yeux pas d’yeux pas yeux dehors visages pas de visages pas visages regards dehors bouches pas de bouches pas bouches dehors mots pas de mots pas mots dehors oreilles pas d’oreilles pas oreilles dehors mots vides mots dehors torses pas de torses pas torses froids torses dehors bras et mains pas de bras pas de mains pas bras et mains dehors ventres pas de ventres pas ventres dehors faims dehors sexes pas de sexes pas sexes dehors froids faims vides sexes riens dehors jambes et pieds pas de jambes pas de pieds pas pas pas jusqu’à sept fois sept pas dehors faims froids errer malgré tout pas le verbe errer malgré tout un mot dehors toi malgré tout dehors pas toi toi invisible à toi toi autre à l’autre il n’ y a pas d’ici il n’y a pas de là dirait antonin artaud il n’y a pas de toi là là-bas il n’y a pas autre toi et autre personne qui regarde qui écoute toi pas personne froids faims vides riens dehors toi creusé toi pas juste une trace sur le drap toi creusé toi pas juste une trace sur le chemin toi creusé jusqu’au mot dehors à demeure des chambres précaires à demeure pas de demeure que ce mot toi que ce mot dehors




la frontière pas de demeure chambres précaires fenêtres pas de fenêtres pas portes pas de portes murs pas de murs pas de sols pas de toits pas pas de ciels toi creusé debout toi creusé absent trouve ton absence dirait pierre reverdy toi frontière de fenêtres de portes de murs de sols de toits toi frontières de terres toi frontières de ciels invisibles aux yeux invisibles mêmes aux mains terres et ciels invisibles à demeure innommables à demeure pas de demeure il te faut poursuivre dirait samuel beckett quand on est dans la merde jusqu’au cou il ne reste plus qu’à chanter il dirait à demeure dehors rien ne se passe personne ne passe que ce mot toi que ce mot dehors tu te souviens de ce chant d’un ivrogne jesus’ blood never failed me yet repris par gavin bryars sans cesse le même mot sans cesse les mêmes mots toi dehors à peine le mot les mots pèsent trop encore sur la prière sur le chant pas reste un pas un pas n’est pas de trop dans la voix ne te retourne pas dans le chant te reste un pas




un temps terrible de la lumière et du noir tu traverses la lumière du noir dans le retard des regards le mot l’autre est dehors et le dernier abrupt comme absent à regarder l’autre à garder la lumière à garder le noir ne rien voir de la douleur fermer les yeux un temps amont pour voir la douleur nue errée terrée dehors dans le nom de l’air dans le nom de la lumière dans le nom du noir les yeux perdus dans le désert de ce qui est vu feux lieux sans feux ni lieux corps perdus yeux perdus visages perdus bouches perdues mots perdus torses perdus bras perdus mains perdues ventres perdus sexes perdus jambes perdues pieds perdus pieds nus danse transe passer la terre comme personne pieds nus yeux nus dans des chambres précaires chambres noires des regards personne au-delà encore la lumière du noir personne




tout tracé le temps du dehors les yeux tombent la photographie trouve l’absence l’imparfait l’ordre d’imparfait des mots non sans les mots non sans voir non sans les yeux tombés dans voir non sans la terre recommencée les yeux tombés de quelque ciel retombés immédiatement non sans parler le ciel bas du mot seul où rien n’arrive ni personne le silence dehors inouï démuni dehors le silence des gestes amuïs non sans dire dehors sol égaré non sans dire sur le sol dehors est toujours toi l’égaré en regard de biais des chambres précaires aller nu à son risque dit jean-paul michel à son risque le livre dehors de faim de froid dedans malgré tout le livre des chambres précaires et la photographie insupportable non sans perdre le seuil dans sa seule lumière de noir non sans la terre déjà enfouie affouillée de la couleur où la couleur se tait nous marchons déjà plus tard où la disparition se précise terre nue des pas dans la demeure ordinaire ne pas laisser plus de trois nuits de suite dans le noir le premier ciel qui doit éclairer notre nuit est la nuit même je te lis ces mots de Maria Zambrano toi moi non sans se taire dans le noir ce nous offensés draps froissés des absents d’un jour sur l’autre impassibles et la photographie insupportable des larmes non sans




à la première heure troisième jour reste l’insomnie la lumière noire restée creuse les chambres précaires le chant de granit d’un mendiant dit Armand Robin dans la lumière noire de son pays natal ou du dépôt tu lis ce passage furtif de la lumière


il n’y a pas le même temps dans la vie impossible I would prefer not to dit le bartelby d’herman melville je préfère mieux pas dans cet extrême de voir je traverse les mots en boîtant un peu je bute contre la porte du dehors je bute contre rien


ne pas toucher dehors maintenant et pourquoi encore cette photographie pourquoi ce déclic immédiat puis aveugle pourquoi cette enjambée gauche immobile emboîtée dans le pas et ne pas toucher dehors maintenant après ce déclic ton pas dehors la douleur je crois que je ne vois pas cela se précipite dans mes doigts qui appuient le déclic la douleur je ramasse les derniers gestes trois nuits avant dehors ce n’est pas la douleur ce n’est pas la peine noirs de source tes yeux mes yeux la boîte noire les mots et les draps défaits si le silence n’est pas pris l’ordinaire du silence la vie pauvre rien ne se raconte dans l’immédiat la brune la photographe à l’instant précaire de la brune où la lumière se ramasse se resserre sur très peu ne pas toucher dehors maintenant


ne te trompe pas ce n’est pas la dernière lampe des trois nuits qui donne plus de lumière on doit pouvoir marcher sur la lumière dit christian bobin aveuglément ne pas toucher dehors maintenant c’est l’obscurité autour qui s’est approfondie dit paul celan


la photographie comme dernière frontière avec et avant le silence ce n’est pas rien toi moi noirs de source les yeux jamais ne se ferment inconnus à toute absence noirs trois nuits sans retour nées seules les nuits nés seuls le déclic la douleur la peine sous la neige de la photographie le dégel des mots et des images est précaire ce n’est pas rien