Paul Ardenne

Art le présent

in: Art le présent édition du regard, Paris 2009



Bruno Serralongue, en l’occurrence, opte non pour la matière vive de l’événement mais pour ses traces, il choisit de ne pas être à l’heure, d’arriver après coup.
Cette esthétique du retardement, très pratiqué depuis les années 1990 (et l’on pense à ce registre, parmi tant d’autres, à des artistes tels que Willie Doherty, Eric Poitevin, Paul Seawright ou encore Sophie Ristelhueber), est de nouveau à l’œuvre avec la série photographique de Jacqueline Salmon intitulée Chambres précaires (1996-1998), en son temps fameuse, un ensemble d’images consacré à ces « disparus » d’un genre particulier que sont les exclus sociaux : population sans ancrage, niée, sacrifiée sur l’autel de la rentabilité économique. Durant l’hiver 1997-1998, à même les locaux d’institutions caritatives parisiennes (l’Armée du Salut, La Mie de pain…), Jacqueline Salmon photographie les chambres qu’ont occupées là des sans-abri mais vides, après leur passage de ces derniers, une fois qu’ils ont quittés la place. Comment mieux représenter dans tout leur effacement des « effacés » sociaux ? Salmon cadre des lits sans plus, lits dont on devine qu’ils ont été occupés, avant le moment de l’enregistrement photographique. Nul corps visible dans l’image. Salmon choisit elle aussi d’arriver en retard, « après », quand il n’y a plus personne. Pourquoi ? Considérée dans la perspective de l’esthétisation, la lisière est un thème équivoque, toujours suspect d’être traité avec une compassion douteuse : on peut jouir de la misère du monde autant qu’on sera porté à en avoir pitié. Pour sa part, Jacqueline Salmon entend se contenir au minimum de la représentation. Chambres précaires ou le refus de donner figure à ceux que la société a sortis de son système social, les parias de l’exclusion. Il faut témoigner, sans doute, mais pas question d’humilier celui pour qui on témoigne. Arrivée après coup, dans cette perspective s’imposait.

EN FINIR SANS JAMAIS FINIR
L’exemple jumelé de Serralongue et de Salmon fait état d’un choix artistique assumé, celui de la post-présence. Moins attiré par l’événement compris comme avènement que par les restes, l’artiste optant pour l’après-coup est comme le visiteur du soir. Il arrive une fois la fête ou la tragédie terminées, tandis que les convives ou les victimes ont déserté la place. Cette venue tardive présente un inconvénient : elle vous prive de l’évènement brute et de se qu’il prodigue de contacts directs avec une situation à l’état d’activation et non de latence. Elle a en revanche un avantage : elle ouvre l’entreprise artistique à l’archéologie. Archéologie que l’artiste, au demeurant, peut s’appliquer à lui-même, en revenant sur le lieu de ses propres œuvres, de manière fantomale, comme l’assassin revient sur les lieux de son crime.