Georges Didi-Huberman

Épreuves de la vie photosensible

Les épreuves de la vie nous orientent et nous déroutent en même temps, en tout temps. Dans le feu du présent. Dans nos mémoires imparfaites. Dans les brouillards du futur. Dans les traces, enfin de tous nos entre-deux, qu’ils soient faits de « passés composés » ou de « futurs antérieurs ». Nous ne savons jamais trop où elles serpentent en nous, ces épreuves. Puis hors de nous. Nous sommes avec elles comme l’enfant qui demande « Où est allée la musique ? » une fois que l’orchestre s’est tu. En quels lieux sont-elles donc parties ou sont-elles gardées, cryptées, déposées, transposées ? En quelles traces, vestiges, empreintes ou images manifestent-elles encore leur puissance ? En quels destins vont-elles finir par se disséminer, par ensemencer nos existences ou celles des autres ?

 

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Dans le film que lui a consacré Teri Wehn-Damisch en 2016, Jacqueline Salmon évoque plusieurs fois — mais à mi-mots, sans rien raconter d’explicite — une épreuve qui a failli briser sa vie : elle fut un jour « déclarée décédée », dit-elle sobrement. Et cependant, depuis lors, « survivante ». L’épreuve n’avait pas tout détruit, mais sa vie, sa chair, son âme avaient été été fissurées, divisées à jamais. Survivre c’était d’abord, simplement, ne pas avoir été morte. Voici, par conséquent, un grand futur antérieur de toute cette vie ou survie : ne pas avoir été morte mais vivre avec l’épreuve, bien sûr, puisque toute épreuve laisse ses traces, innerve chacun des instants de la vie. Il aura fallu reconstruire un corps, douloureux chantier. « Je suis en chantier », déclare ainsi Jacqueline Salmon devant la caméra de Teri Wehn-Damisch, comme pour justifier, au-delà même de sa passion pour la chose architecturale, son attachement principiel à ce mélange de destruction et de construction que représente l’idée même du chantier.

Dans tout chantier il y a de l’antérieur qui se décompose — mais demeure quelque part, bien sûr, à l’état dormant — et du futur qui se recompose, qui surgit, qui recommence tout. Je demandai hier soir à Jacqueline Salmon pourquoi elle avait pensé à ce titre, Futur antérieur. Elle me répond : « Je n’ai pas cherché un titre, celui-ci est arrivé tout seul. […] Comme si mon futur était déjà présent dans mes premiers travaux. Parce que pour la première fois je regarde mon histoire en perspective depuis le présent. » Elle ajoute que mon idée de mettre cette expression au pluriel — car, lui disais-je, multiples sont nos antériorités, multiples nos futurs aussi — lui convient tout à fait. Comme tout le monde, Jacqueline Salmon vit avec ses épreuves. Mais voilà qu’elle en aura fait toute une œuvre ou, dit autrement, toute une multiplicité — impressionnante par sa ténacité heureuse, par sa variété cohérente — d’épreuves photographiques en perpétuel chantier.

 

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Et tout cela se recueille — va durer — dans un livre. Un livre de photographies ou, mieux : le livre de toute une vie photosensible. Livre qu’il aura fallu composer par montages successifs et dont il aura fallu relire et revoir, méticuleusement, toutes les « épreuves », bien sûr. Voici donc que s’ouvre un peu plus, telle une fleur, ce mot d’épreuve. En français, il signifia d’abord la souffrance, le malheur : il était un substantif pour les expériences que la vie nous réserve si souvent par surprise, sans que nous l’ayons voulu ou prévu. Et pourtant c’est aussi un mot — bien plus joyeux, de cette joie que l’on sent justement dans la multiplicité des explorations photographiques de Jacqueline Salmon — de l’expérimentation. Faire l’épreuve de quelque chose, c’est essayer, éprouver par soi-même : ici enlever un peu et, là, soustraire. Déplacer ou se déplacer pour voir. Démonter, remonter. C’est tenter autre chose, trouver une nouvelle voie. C’est aussi mettre à l’épreuve : façon de mettre en œuvre ce qui demande à être révélé, mis en lumière, mais aussi ce qui veut résister au temps. Façon de choisir, donc, ce qui se montrera « à toute épreuve ». Il arrive que l’expérience nous accable : c’est le sens tragique de l’épreuve, comme dans l’expression fameuse, chez Eschyle, du « savoir par l’épreuve » (pathei mathos). Mais il faut, à cela, répondre par l’expérimentation en tant que joie de l’épreuve, gai savoir de ce qui n’était pas sûr — encore moins donné — au départ.

Sur ce dernier versant, donc, l’épreuve serait une manière de désigner le geste en tant qu’expérimental : une praxis, une heuristique. Et l’acte de connaissance qui lui est consécutif : une theoria. Il y a du jeu dans la praxis, il y a un enjeu de vérité dans la theoria. À chaque image tentée, il faut la mise à l’épreuve de sa forme autonome comme de sa façon de sortir d’elle-même. Il faut vérifier par soi-même. Sans cela, pas de probatio ou d’approbation, cette affirmation décisive qui transformera l’épreuve en œuvre. Probare, en latin, c’est trouver bon : c’est approuver autant qu’éprouver. On parle d’une plante proba quand elle pousse bien droit. L’épreuve serait donc à la fois l’expérience subie et l’ordalie qui permet, par un acte de courage, d’affirmer que cela — l’épreuve — n’était pas seulement un dommage subi, une peine. Car elle était, à partir de l’épreuve, affirmation d’un grand désir et de sa ténacité pour que quelque chose continue de pousser. Dès que l’antériorité est assumée, dès que le futur est mis en chantier, on peut présager que le « futur antérieur » lui-même sera probe, peut-être même à toute épreuve.

 

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De quel genre participe donc ce livre-ci ? C’est un livre de planches photographiques, soit. Mais pourquoi si — apparemment — éclectiques ? Pourquoi des corps de danseurs avec des lieux désaffectés, des papiers peints arrachés avec des cryptes égyptiennes, des eaux dormantes avec des ventres de femmes, des espaces carcéraux avec un nuage qui passe, le portrait de Jacques Derrida avec un paysage de sel, des tentes pour migrants avec des miroirs altérés, des collections de momies avec des lits de passage, des zones de déchets nucléaires avec des ramures d’arbres ou des racines de légumes, des graffitis enfantins avec une carte des vents, des alphabets anciens avec des champignons séchés qui ressemblent à des cerveaux autant qu’à des nuages, des collections d’algues avec des ciels de Constable, tout cela que le livre lui-même oriente vers un espace qui viendrait tout recueillir, celui d’une bibliothèque ?

Mais, avant tout : pourquoi avoir ouvert ce livre de photos avec des planches d’herbier ? Jacqueline Salmon s’en excuse presque. Ne serait-ce pas hors-sujet, hors de l’art photographique comme tel ? Pourtant, me dit-elle, « l’herbier précède tout » dans son approche du monde visible. C’est donc l’antérieur de son engagement photographique, à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Qui se révélera comme le futur même de sa « vie photosensible » pensée comme cueillette et collecte, dépôt et connaissance, organisation d’albums et fabrication de livres. L’antérieur ? Un geste protophotographique inhérent aux opérations qu’exige la fabrique d’un herbier : le choix et la cueillette au milieu du divers infini qu’offre le monde sensible ; le dépôt (et l’encollage) sur une feuille de papier ; l’écriture d’une légende ; le recueil en forme de livre, inhérent à l’histoire même des herbiers qui furent tour à tour des collections de plantes séchées et des imagiers de gravures souvent coloriées à la main ou de lithographies1.

Le futur ? Il ferait signe vers quelque chose comme un geste métaphotographique, dans le sens où l’on parle de métalangage, par exemple : à savoir un geste propice à penser la photographie elle-même en ses paradigmes les plus fondamentaux. Ce n’est pas seulement par goût de l’herborisation et par fascination pour le monde naturel que Jacqueline Salmon a consacré des séries photographiques à un seul genre d’arbres, les « hêtres tortillards » (en 1991), à divers légumes avec leurs racines (en 1998-2000), à des collections dites d’Archives naturelles (en 2000-2002), à des « champignons Lingzhi » ou « champignons-nuages » (en 2014), à des planches d’alguiers ou d’herbiers (en 2014-2016), et jusqu’à de récentes photographies d’ouvrages botaniques pour la série La Bibliothèque, abîme et miroir.

 

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Tout livre de photographie ne serait-il pas, de planche en planche, quelque chose comme un herbier de choses vues ? Quant à l’herbier lui-même, en son destin de longue durée, ne participe-t-il pas directement d’une histoire visuelle — et pas seulement naturelle —, voire photosensible ? Une histoire qui met en jeu la rencontre des techniques d’observation, de représentation, de composition formelle, de montage, de reproduction, etc., toutes choses situées au confluent de ce qu’on appelle communément « l’art » et « la science2 » ? Il suffirait ici de se souvenir — ainsi que David Freedberg l’avait analysé dans The Eye of the Lynx — comment le savoir botanique lui-même connut, au début du XVIIe siècle, une évolution décisive à partir de certaines conjonctions techniques, optiques et théoriques au temps de Galilée3. Mais, dans la mesure où chaque geste technique réunit des aspects aussi bien mémoratifs (« antérieurs ») que prospectifs (« futurs »), il semble inutile, ou quelque peu simplificateur, de distinguer, aussi fortement que l’on fait Lorraine Daston et Peter Galison dans leur livre Objectivity, une période qui serait de la « vérité d’après nature » (celle, ancienne, des herbiers ou des atlas illustrés), et celle de l’« objectivité » proprement dite (où apparaît enfin, comme signe par excellence de l’épistémè moderne, le médium photographique4).

C’est qu’il y a, dans le geste photographique lui-même, un mouvement d’anamnèse (vers l’antérieur) autant que de visée (vers le futur). Sa nature indiciaire, dont on a si souvent parlé comme d’un « futur » conquérant pour les techniques visuelles, relève tout aussi bien d’un « antérieur » très ancien : celui des procédures d’empreinte qu’on ne s’était jamais privé, dans la longue durée de l’histoire occidentale, d’appliquer aux plantes et aux choses les plus évanescentes de la nature en général5. On pourrait alors faire l’hypothèse que, si l’herbier a pu constituer un paradigme initiatique pour le gestus photographique de Jacqueline Salmon, c’est dans la mesure même où il l’avait été initialement — de façon plus ou moins patente, plus ou moins latente — pour le medium photographique lui-même. Et cela apparaît, de façon singulièrement précise, dans la conception même du tout premier livre de photographie dans l’histoire, je veux parler du Pencil of Nature de William Henry Fox Talbot.

 

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Talbot, nul ne l’ignore, fait partie des tout premiers « inventeurs » de la photographie6. Mais, là où Daguerre triomphait commercialement avec ses images métalliques, brillantes et fascinantes, que les bourgeois pouvaient déposer dans des écrins de velours rouge ou exposer sur leurs cheminées, Talbot envisageait pour la photographie tout autre chose qu’un devenir-bibelot : plutôt un devenir-livre, voire un devenir-bibliothèque7. Cela pouvait sembler rétrograde : ce fut pourtant le moment le plus révolutionnaire, sans doute, de cette invention. Talbot misait sur la feuille banale et non sur la plaque précieuse : sur le papier et non sur le métal. Faire confiance au papier, cette vieille chose des livres ou des carnets de dessin, consistait bien à imaginer un « futur antérieur » pour la photographie : antérieur si l’on pense à la culture humaniste de Talbot lui-même qui fut égyptologue, philologue et, même, commentateur de la Bible parallèlement à ses expériences d’optique, de chimie… et de botanique ; futur si l’on pense que la photographie entrait alors — selon une opération d’Aufhebung, de « relève » dialectique soulignée par Hubertus von Amelunxen8 — dans cet espace ou « lieu de savoir » commun qu’est le livre.

Talbot a consacré nombre de ses expérimentations à des « sujets botaniques9 ». Il transformait ainsi ses « épreuves » en des planches d’herbiers que l’on pourrait dire transmatérialisées. Là où le botaniste traditionnel dépose sa plante bien à plat sur la feuille de papier, puis la colle avec toute la délicatesse requise — comme s’il fallait ne presque rien toucher —, le photographe effectuait exactement les mêmes gestes sur une feuille où, cependant, la colle avait laissé place à une très légère solution chimique photosensible. Bien plus qu’un support neutre au dépôt végétal, le papier sensibilisé devenait ainsi le médium même de sa visibilité. C’est en cela que, dans The Pencil of Nature, Talbot a pu raconter toute l’histoire de son invention à travers ses efforts principiels pour rendre le papier sensible : « On pourrait dire, très simplement, que le procédé permettant d’obtenir ces planches (plates) consiste en la seule action de la lumière sur du papier sensibilisé10 (the mere action of light upon sensitive paper). »

Mais rendre photosensible une feuille de papier n’allait pas de soi, elle qui s’était jusque-là contentée de recevoir l’encre des copistes et celle des machines à imprimerie, ou bien la mine de plomb et le lavis des dessinateurs, la gouache et l’aquarelle des peintres. Seule la ténacité de l’expérimentateur — alliée à la chance inespérée de certains accidents féconds11 — devait venir à bout de ce grand désir de sensibilisation. Puis Talbot comprit que celle-ci, bien que cruciale comme « expérience dans l’instant », ne suffisait pas comme « expérience dans la durée » : il fallait aussi qu’elle laissât une image durable. Un être sensible peut rougir — par pudeur ou par désir, ou autre chose — et cela marque, dans certains cas, une expérience inoubliable de notre vie affective. Mais fixer l’image d’un moment sensible, fatalement passager, c’est une tout autre affaire12.

Sensibilisation et fixation, pour Talbot, relevaient sans aucun doute de processus purement chimiques. Mais si on les considère sous le prisme d’une phénoménologie du temps, on peut dire que la première concernait un antérieur (il faut qu’il y ait eu sensibilisation au départ pour que l’image existe) et la seconde un futur (il faut que l’image soit fixée pour qu’elle puisse être regardée aujourd’hui encore, presque deux siècles après que le papier a été sensibilisé). C’est alors que Talbot fit une nouvelle et bouleversante découverte : entre l’instant sensible et la durée de l’image fixée, il aura fallu cette répétition de laquelle surgit la cheville dialectique de tous ces processus : à savoir l’inversion des valeurs depuis une « épreuve négative » vers toutes ses « épreuves positives », dans cette fécondité ou reproductibilité du négatif-papier à laquelle Talbot sera finalement parvenu sous le nom de « calotype ».

Une planche du Pencil of Nature illustrait exemplairement — et avant même la mise au point technique du négatif-papier — ce processus de répétition et d’inversion. Il est significatif qu’elle ait eu, comme sujet, un simple « Feuillage » (Leaf of a Plant) : « On pose sur une feuille de papier préparé (laid flat upon a sheet of prepared paper), modérément sensible, une feuille (leaf), ou tout autre objet mince et délicat. On les couvre ensuite avec une vitre que l’on maintient pressée contre elle à l’aide d’une vis. Après quoi on place le tout au soleil pendant quelques minutes, jusqu’à ce que les parties exposées du papier soient devenues brun foncé ou presque noir. On l’emporte alors dans un endroit sombre et, en retirant la plante, on observe que celle-ci a laissé une impression ou image (impression or picture) sur le papier. Cette image est d’un ton brun clair quand les feuilles sont à moitié transparentes, ou presque blanche quand les feuilles son opaques. En représentant ainsi des feuilles en blanc sur un fond sombre, on obtient des images fort plaisantes et j’en présenterai sans doute quelques spécimens dans la suite de cet ouvrage. Mais cette planche-ci montre l’inverse (pictured in the contrary manner), c’est-à-dire que le motif y apparaît foncé sur fond blanc ou, pour parler le langage de la photographie, elle en est une image positive et non une image négative. La transformation s’accomplit simplement en répétant le procédé initial13 (the change is accomplished by simply repeating the first process). »

 

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Feuilles de plantes (leafs) ou feuilles de papier (sheets) : dans tous les cas, chez Talbot, la « naissance de l’idée de photographie », comme l’a nommée François Brunet14, n’allait pas sans une sorte de poétique pelliculaire où le papier joua, du début à la fin, un rôle de support ou de véhicule privilégié : « ombres écrasées » — selon l’expression de Jean-Christophe Bailly15 — d’une fleur, d’aiguilles de pin ou d’une dentelle sur le papier sensible, donnant lieu à ce que Talbot revendiquait comme « dessin photogénique16 » (photogenic drawing) ; réversibilité des valeurs lumineuses par le biais du négatif-papier et de ses épreuves positives, elles aussi sur papier, dans la technique du calotype ; reproductibilité sur papier donnant lieu à l’invention de ce premier livre photographique que fut The Pencil of Nature, où plusieurs planches, à côté des « sujets botaniques » ou des paysages, avaient justement pour objet les fac-similés de documents imprimés ou figurés, et jusqu’à la bibliothèque elle-même en tant qu’objet photographique à part entière17.

Comme bien d’autres photographes depuis Talbot, Jacqueline Salmon assume, aujourd’hui encore, être particulièrement sensible au papier. Elle n’a pas renoncé à la technique argentique : son laboratoire de Charnay est toujours prêt à fonctionner. Elle tirait ses épreuves jusqu’au format 50 x 60 cm, dit-elle, et pour les formats supérieurs elle s’adressait à un tireur lyonnais, Pilou Gianetti. « On faisait venir d’Angleterre mon papier préféré, un mat velours de Ilford qui ne se fait plus aujourd’hui. » C’est donc en partie pour ces questions de papier qu’elle a adopté la technique numérique : non seulement celle-ci permet, dit-elle, de « maîtriser la couleur », mais encore elle suppose l’utilisation « d’encres pigmentaires, l’encre noir mat pour tirer sur papier Japon ou sur papier gravure. […] J’utilise beaucoup le Canson Infinity blanc naturel en feuilles, le Cold Press Natural d’Epson en rouleau, [et] j’évite les papiers Hahnemühle trop blancs pour moi et surtout que tout le monde emploie ».

Tout cela sans oublier l’omniprésence, chez Jacqueline Salmon, des thèmes liés à la feuille, au livre et à la bibliothèque : par exemple dans la série de 1993 consacrée à Italo Calvino ; dans l’hommage à Walter Bondy, où les reflets lumineux sur les feuilles de terphane jouaient un rôle visuel important ; dans le diptyque de la série Entre centre et absence consacré à Naguib Mahfouz, avec sa porte de bois entrouverte sur de mystérieuses liasses de papier ; dans les photographies de momies égyptiennes, écrins à papyrus et à hiéroglyphes ; dans les images du livre de Bruno Duborgel, avec ses pages constellées de « notes cachées » pour une musique aléatoire ; dans les Géocalligraphies de 2008 ; dans les carnets de migrants photographiés en 2009 ; dans les images du Temps qu’il fait, le temps qu’il est, puis dans les nombreuses notations graphiques pour « coucher le vent sur papier », si l’on peut dire, entre 2010 et 2016 ; et, bien sûr, dans les nombreux manuscrits, livres ouverts, imagiers, atlas, herbiers, alphabets, etc., photographiés jusqu’à aujourd’hui dans le projet de La Bibliothèque, abîme et miroir.

 

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Le français feuille réunit en un seul mot ce que l’anglais distingue entre leaf (la feuille d’une plante) et sheet (la feuille de papier). Sa propre racine étymologique était déjà portée par le même double sens, à travers le bas latin folia, pluriel neutre — par la suite devenu féminin singulier — du classique folium. Celui-ci désignait donc une feuille d’arbre, mais aussi la feuille en tant que support d’écriture. Peut-être à cause du papyrus, cette surface à la fois végétale et scripturale. Ou bien à cause de la feuille de palmier sur laquelle la Sybille était, dans l’Antiquité, censée écrire ses oracles.

La photographie elle-même joue sur ce double sens du folium. Photo-sensibiliser une feuille de papier, n’est-ce pas, en quelque sorte, la faire revenir à sa condition végétale de photosynthèse, ou du moins la faire se comporter comme une texture vivante qui réagirait à la lumière ? Dans un récent recueil intitulé Puissance du végétal et cinéma animiste, Luce Lebart rappelait l’« origine végétale » de la photographie en tant que telle : « Depuis l’origine de la photographie, les végétaux participent de la fabrication des images sensibles. Que serait l’image analogique sans son support d’origine végétale, le papier ? Que serait la photographie sans les pigments d’origine végétale, dont le charbon est le grand procédé, sans la fécule de pomme de terre qui, teintée, détermine les couleurs de l’autochrome ou, encore, sans les liants que sont la gomme arabique, la gélatine végétale ou le collodion à base de coton ? Tour à tour support, liant, pigment, le végétal est aussi un acteur photosensible. L’héliographie de Niépce, procédé de la première photographie au monde, ne repose-t-elle pas sur l’emploi de l’essence de lavande ? L’association de cette essence végétale au bitume de Judée forme, en effet, la substance sensible à la lumière du principe fondateur de Niépce. [De plus, il était fréquent], dans le cours de recherches sur la sensibilité à la lumière de substances de différentes origines, de choisir des plantes, en particulier des fougères et des algues, et de les déposer sur un papier sensible à la lumière afin d’observer, de constater et d’évaluer les effets de la lumière sur ce papier. Par conséquent, les premières images de végétaux sont des images inversées18 », comme Talbot l’avait expliqué lui-même dans The Pencil of Nature.

Y aurait-il donc un lien presque originel entre le geste d’herboriser et celui de photographier ? Ne pouvait-on pas lire en 1885, dans le Bulletin de la Société française de photographie et sous la signature d’un savant nommé M. H. Timiriazeff, que « l’effet chimique de la lumière dans la chambre photographique peut être suffisamment analogue à son effet physiologique dans le végétal vivant, à condition que la substance impressionnable présente, dans les deux cas, des phénomènes identiques19 » ? En 1890, la Société belge de microscopie ne rendait-elle pas compte d’une expérience de « photographie sur feuille d’arbre » où l’image était « constituée par la feuille elle-même20 » ? Tout cela prenant des accents plus dramatiques encore avec les images tracées par la lumière sur la peau — la « pellicule » — des personnes foudroyées21.

On pourrait, de ce lien surdéterminé, multiplier les exemples : tels les cyanotypes de plantes réalisés, dans les années 1840, par Anna Atkins — faisant suite à ses remarquables illustrations des œuvres de Lamarck en 1822-1824 — sur les indications techniques de John Herschel, le grand savant ami de Talbot22. Telles les autographies de feuilles végétales publiées en 1853 par Alois Auer selon un principe dit d’« empreinte de la nature par elle-même » (Naturselbstdruck)23. Telle la phytographie promue en 1880 par Alphonse de Candolle comme révolution technique par rapport à la confection traditionnelle des herbiers24. Sans compter les chefs-d’œuvre photographiques que furent, dans la mouvance des avant-gardes au XXe siècle, des expériences telles que les Urformen der Kunst de Karl Blossfeldt, notoirement commentées par Walter Benjamin et que Jacqueline Salmon évoque souvent en exemple25.

 

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Il est frappant de constater à quel point cette dialectique du végétal et du photographique innerva aussi bien les avant-gardes que les expériences prototypiques de la photographie et du cinéma, depuis Talbot jusqu’aux herbiers animés de Stan Brakhage, aux décompositions photographico-végétales — dues à des champignons, en effet — chez Éric Rondepierre, ou à l’Herbarium monstrueux de Joan Fontcuberta26. Cette extension prodigieuse incite à formuler une hypothèse selon laquelle la vie photosensible se jouerait des frontières de champs (végétal vs technique, par exemple), mais aussi de temps. Tout photographe sait bien que la photosensibilité est affaire de temps : il faudra toujours tenir compte du « temps de pose ». Il faut du temps à la vie photosensible, c’est entendu. Mais ne pourrait-on pas dire également que la réciproque est vraie ? Qu’il faut de la photosensibilité au temps lui-même ?

Deux ouvrages d’Emanuele Coccia, La Vie sensible et La Vie des plantes, peuvent nous aider à développer cette question. La vie s’éteint fatalement pour chaque individu mais, sur le plan de l’espèce, elle se reproduit et, ainsi, se transmet. « La reproduction est le mouvement suprême de la transmission, où se trouvent transmises non seulement une identité, mais la possibilité même de l’être », écrit Coccia. Pour préciser aussitôt, s’agissant de la vie sensible : « La reproduction est partout, dans chaque geste, matériel ou spirituel : la vie ne fait que se reproduire dans les images de soi, elle ne fait qu’émettre des images. Et dans chaque image le vivant se multiplie. […] Le sensible, l’image, est l’être en acte de cette reproduction infinie. Et tout animal est d’autant plus capable de se reproduire qu’il est touché par le sensible. On appellera donc vie la capacité de conserver et de produire des images27. »

Or cette approche de la vie sensible comme puissance d’émettre et de transmettre des images — idée à laquelle tout photographe ne saurait que souscrire — s’est étonnamment prolongée, chez Emanuele Coccia, à travers une réflexion sur la vie végétale. Parente pauvre des réflexions philosophiques sur la vie en général, la vie des plantes est ici valorisée comme ce qui produit et fait respirer notre atmosphère et, partant, notre monde lui-même. D’où l’importance capitale de la photosynthèse, ce processus permettant à des organismes de synthétiser de la matière organique en utilisant l’énergie lumineuse. C’est ainsi que les plantes réduisent le dioxyde de carbone ambiant à l’aide de l’énergie solaire captée par leurs feuilles, et qu’elles le transforment en oxygène. Il n’y aurait pas de vie tout court sans cette vie photosensible.

La photosynthèse est « l’expression la plus radicale de l’être-au-monde » des plantes, écrit Coccia. Celle, peut-être, des organismes vivants en général dans la mesure où elle se révèle comme « le mécanisme principal de la production d’énergie vitale28 ». Sa découverte fut progressive et débuta, au XVIIIe siècle, par la constatation que les plantes étaient capables de recréer une atmosphère saine, oxygénée, à partir d’un air vicié, saturé de carbone. Joseph Priestley avait, ainsi, « posé un plant de menthe sous une coche de verre contenant de l’air issu de la combustion d’une chandelle. Il remarqua que, vingt-sept jours plus tard, une autre chandelle était toujours capable de parfaitement brûler à l’intérieur. Selon Priestley, cela s’explique par le fait que les plantes s’imbibent des gaz produits par la respiration et la putréfaction animale (dans le langage de l’époque : la matière phlogistique). Elles l’absorbent et l’incorporent à leur propre substance. Cette découverte l’amena à la formulation du principe de complémentarité entre monde végétal et monde animal [et, ultimement, à l’idée que] l’être-au-monde des plantes réside dans leur capacité à (re)créer l’atmosphère29 ».

C’est ainsi que, sans parole aucune, un dialogue s’instaure avec les plantes, fondamental en ce qu’il concerne la possibilité même de toute vie : nous respirons, les plantes et nous, de façon admirablement symétrique. Nous vivons de souffles rencontrés. Nous nous maintenons en vie d’absorber l’émanation gazeuse bénéfique, oxygénée, du monde végétal. « Les expériences et découvertes de Priestley et Ingenhousz (suivies de celles de Jean Senebier, Nicolas Théodore de Saussure, Julius Robert Mayer et Robin Hill, pour ne mentionner que les plus grands scientifiques à l’origine de la découverte de la vraie nature du processus de photosynthèse) furent importantes non seulement parce qu’elles permirent de faire un énorme pas en avant dans la compréhension de la physiologie végétale, mais parce qu’elles imposèrent un changement radical du regard que nous portons à l’atmosphère. L’air que nous respirons n’est pas une réalité purement géologique ou minérale — elle n’est pas simplement là, elle n’est pas un effet de la terre en tant que tel — mais bien le souffle d’autres vivants. Il est un sous-produit de la “vie des autres”. Dans le souffle — le premier, le plus banal et inconscient acte de vie pour une immense quantité d’organismes — nous dépendons de la vie des autres. Mais surtout, la vie d’autrui et ses manifestations sont la réalité elle-même, le corps et la matière de ce que nous appelons monde ou milieu30. »

 

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De ces réflexions fondamentales, Emanuele Coccia aura voulu déduire ce qu’il nomme une « métaphysique du mélange ». Retenons, pour ce qui nous concerne ici, deux leçons plus empiriques ou plus modestes qui, l’une et l’autre, révèlent quelque chose du gestus inhérent à l’œuvre photographique de Jacqueline Salmon. La première leçon est d’ordre esthétique : on ne saurait oublier que, dans cette affaire de souffle et d’atmosphère, la lumière joue un rôle prépondérant. Si « l’air que nous respirons n’est pas une réalité purement géologique ou minérale », comme le dit Coccia, c’est d’abord parce que les feuilles de plantes sont animées de vie photosensible, productrice de l’oxygène que nous respirons à partir d’un phénomène lumineux qu’incarne, fût-ce à une tout autre échelle, la production même des images photographiques. Ce qu’il faut retenir ici, c’est que souffle et lumière vont de pair, comme une notion telle que l’aura — depuis son étymologie grecque, « souffle d’air, brise, exhalaison », jusqu’à sa version esthétique et visuelle — en illustre exemplairement le lien.

L’autre leçon, indissociable de la première — parce que toutes deux, justement, nous parlent de l’indissociabilité —, sera d’ordre éthique. Dire que, par le souffle et la photosynthèse, « nous dépendons de la vie des autres » et que celle-ci constitue même notre véritable « monde ou milieu », voilà qui pourrait évoquer, selon une nouvelle perspective, moins cosmologique et plus phénoménologique, la « renverse du souffle » selon Paul Celan ou la reconnaissance du visage d’autrui selon Emmanuel Levinas31. Il serait alors possible d’envisager la grande diversité des « épreuves » — expériences, occasions, thèmes, genres d’images, formats, techniques, etc. — chez Jacqueline Salmon, non pas selon le simple tout et rien de l’éclectisme indécis, mais selon une règle plus profonde et plus volontaire qui serait celle du chacun avec son autre : cet autre si nécessaire à la sagesse du mélange et de l’« échange des souffles ». Voilà peut-être la position dialectique inhérente, dans ce livre de photographies, au souci éthique autant qu’à un engagement de connaissance et à une stratégie visuelle.

Ainsi, lorsque Jacqueline Salmon photographie les corps d’autrui, elle n’hésite pas à les confronter à toutes sortes d’altérations, de « devenirs-autres » : comme pour ces ventres de femmes regardés juste avant une épreuve décisive de la vie, accouchement ou avortement ; comme pour ces corps dont la série racontera le vieillissement. De même les montrera-t-elle, ces corps, capables de transformer leur milieu (dans la danse par exemple) ou d’être transformés par lui (ne serait-ce que par des arbres agités par le vent). Elle les montrera aussi à travers leur puissance de soulèvement et, en même temps, leur mise en danger d’écrasement (dans la série Quelles sont nos erreurs ?). Elle les figurera dans leurs destins d’enfermement (Mauthausen) comme dans leurs destins d’exil (Sangatte). Également dans leur capacité à faire lever une mémoire corporelle de longue durée, c’est-à-dire inscrite dans l’histoire des arts visuels (visages peints de Piero della Francesca, moulages en plâtre de Geoffroy Dechaume).

Lorsqu’elle photographie les architectures — une de ses premières passions photographiques —, Jacqueline Salmon cherche presque toujours une réponse dialectique, même implicite, même inaperçue : c’est comme un « souffle réciproque » venant briser ou, plutôt, rendre vaines toutes les clôtures de l’espace. Dans La Raison de l’ombre et des nuages, en 1996, l’architecture confinée dialoguait ainsi avec le libre souffle des nuages, comme si la fermeture des voûtes rêvait elle-même à son hors-champ de ciel. Dix ans plus tôt, Jacqueline Salmon avait cherché, au couvent de Le Corbusier et à la halle de Tony Garnier, un « futur antérieur » d’anciennes nécropoles égyptiennes. Elle aura photographié, outre divers chantiers (dont le premier fut celui de la cathédrale Saint-Jean en réfection), les altérations vernaculaires de l’habitat dans la rue Juiverie et les « traboules » du vieux Lyon, ou encore celles des architectures désaffectées (Le Fresnoy, à Tourcoing, ou les belles Notes de chantier en hommage à Tarkoski, en 1989, dans une cimenterie en ruines).

Peut-être suffit-il de photographier un être-là pour que s’impose — et s’inscrive visuellement, d’une façon ou d’une autre — la question de l’être-ailleurs. Dès 1983, dans sa série sur la rue Juiverie, Jacqueline Salmon entrait dans l’intimité d’espaces qui, justement, venaient d’être quittés. Une décennie plus tard, les Chambres précaires abordaient l’espace du recueillement de soi par excellence, à savoir le lit où nous dormons, sous l’angle de la menace d’expulsion, problématique traitée aussi dans la séquence d’images sur les sans-logis parisiens. Même les visions carcérales ou asilaires — Clairvaux, La Santé, Évreux et Ville-Évrard, Aniane enfin, ce bagne pour enfant qui avait été actif jusqu’au début du XXe siècle — ménagent, à un moment ou à un autre, le contre-motif d’une échappée : un art de l’architecture photographiée capable d’assumer une véritable contestation des murs.

D’où, chez Jacqueline Salmon, une véritable passion paysagère : une passion pour l’ouvert. On la sent animée par l’intuition qu’un paysage est toujours autre ou ailleurs (intimement étranger, donc), toujours avant ou après nous (« futur antérieur », donc). Et cela, sans doute, parce qu’il nous fait sortir de nous-mêmes et de notre présent. Comment, ici, ne pas penser à la vieille connivence de la photographe avec Jean-Christophe Bailly, l’écrivain par excellence du paysage comme dépaysement32 ? Et cependant, le paysage ne semble-t-il pas, en photographie comme en peinture, constituer le genre le moins critique qui soit ? Cette objection ne tient pas longtemps si l’on se donne la peine — comme le fait, à chaque fois, Jacqueline Salmon — d’envisager l’espace avec tout ce qui le fait trembler : ses équivoques, ses traces ou ses propensions à être « traduit » ou déplacé vers quelque chose d’autre.

Comment, par exemple, photographier l’eau d’un paysage ? Dans la série sur Amilly, en 2000, Jacqueline Salmon développa un point de vue double, voire conflictuel, sur le rapport qu’un même lieu peut établir entre ses « eaux sauvages » et ses « eaux domptées ». En 1995, elle réfléchit, devant un lac sec, à ce que serait L’Envers de l’eau. Elle a prélevé de paysages canadiens, en 2016, des échantillons de sables (résidus de mouvements de l’eau) photographiés de près. En même temps, elle confrontait un horizon marin, ouvert devant ses yeux, à son altérité ou « antériorité » photographique (Gustave Le Gray) ou picturale (Gustave Courbet et sa série de Vagues). Elle voulut séparer des ciels en détourant des paysages de Cozens ou de Constable, de Sisley ou de Pissarro, de Delacroix ou de Manet. Enfin elle fit s’embrasser des ciels jusqu’à les fondre l’un dans l’autre : se saisissant par exemple — photographiquement, bien sûr — d’une étude de ciel peinte par Eugène Boudin, puis attendant qu’un ciel réel vînt se présenter à elle pour que les deux puissent — photographiquement, bien sûr — échanger leurs souffles dans la même image.

 

*

 

Il semble, alors, qu’une nouvelle nécessité de « futur antérieur » soit venue au jour devant les paysages — les horizons, les mers ou les ciels — élus par Jacqueline Salmon. Cette nécessité faisait, une fois encore, retour aux paradigmes fondamentaux du Crayon de la nature chez Talbot et, par-delà, aux plus anciennes acceptions de l’acte graphique, par exemple les écritures ésotériques inhérentes aux pratiques divinatoires de l’Antiquité : signes émis pour voir le temps. Les inscriptions sur les vieilles stèles de San Michele, à Venise, disparaissaient sans doute sous l’érosion du vent marin. Comme pour répondre à ce travail d’émiettement du visible, la « photo-graphe » qu’est Jacqueline Salmon aura fini par inventer des textes, noirs sur blanc, d’un nouveau genre : pages de profils sur les îles du fleuve Saint-Laurent, dites Géocalligraphies (à partir de 2007), prolongées par les notations graphiques, superposées à l’image-photo, des courants de marées ; relevés des « battures » (à savoir la partie du rivage découverte à marée basse) ; ou encore ces grandes « cartes des vents » constellées de signes dynamiques tracés à la main, comme pour nous dévoiler la dynamique invisible des paysages de ciels.

Or les « cartes de vents » — comme on en trouve, notamment, dans Le temps qu’il fait, le temps qu’il est, en 2009-2010 — se présentent déjà comme des pages d’écriture, des exercices calligraphiques. Manière de se rapprocher de pratiques ancestrales que Jacqueline Salmon a retrouvées ici et là, notamment dans le contexte de la culture japonaise. On comprend alors que, si les herbiers ont vite donné lieu, chez elle, à ces multiples imagiers de séries photographiques, celles-ci à leur tour n’ont pas tardé à révéler leur nature, patente ou latente, de verbiers : des trésors de signes, des constellations textuelles. De la même façon que la texture d’une plante, dans un herbier, appelle ou induit le texte qui la nomme, on trouve souvent chez Jacqueline Salmon des ensembles d’images réunies par des mots, comme dans Le Grenier d’abondance ou Hôtel-Dieu en 1991-1992, la Petite histoire de l’art entre 1992 et 1995, La dénonciation suit l’énonciation comme son ombre en 1993 (avec un texte de Jean Baudrillard) ou les douze diptyques de la série In Deo en 1994 (dédiés à douze chefs Indiens de l’Alberta ayant lutté pour leur autonomie au cours du XIXe siècle).

« Faire une photo, c’est ouvrir une discussion », disait Jacqueline Salmon dans le film de Teri Wehn-Damisch. On ne s’étonnera donc pas qu’elle ait aimé photographier des penseurs, des écrivains — pas n’importe lesquels, bien sûr : ceux qu’elle lit avec reconnaissance et qui sont aussi, à l’occasion, ceux qui ont su regarder ses images —, mais également de simples pages d’écriture, des calligrammes, des livres ouverts, des incunables, des fonds d’archives. Faire des images serait ainsi une façon, modeste et visuelle, de contribuer à la lisibilité du monde, sans qu’il soit nécessaire de se demander qui, des mots ou des images, doit commencer ou doit commander. Il ne faut peut-être rien séparer ou hiérarchiser du monde photosensible : il suffit de trouver la forme de tout ce qui sait y cohabiter, pour y faire « mélanger les souffles » du divers. Le monde est morcelé, certes. Mais une seule planche photographique, ou une séquence de planches, suffit quelquefois à recueillir — et non à résoudre — ce morcellement même. Cela s’appelle, éventuellement, un atlas.

 

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Ne pourrait-on pas dire qu’un atlas consiste, justement, à fabriquer des « futurs antérieurs » ? Ne réunit-il pas des choses du passé — ici : des photographies faites par Jacqueline Salmon selon un arc temporel de quelque quarante années — qui se trouvent mises en coprésence selon des points de vue totalement renouvelés par leur anamnèse et par les rapprochements mêmes qui les transforment en « passés recomposés » ? Les termes sont anciens ou antérieurs, leurs mises en relation sont nouvelles ou futures en cela même qu’elles n’auront pu apparaître que dans le jeu, c’est-à-dire l’imagination et l’invention, de leurs remontages actuels. Un atlas, ce n’est ni une chronique, ni un album, ni un simple chapelet des « meilleures » images extraites d’une archive de travail. C’est un remontage d’épreuves, à tous les sens que viendra prendre, selon les contextes et les pratiques, ce dernier mot qui nous parle de l’expérience33.

Un livre de photographies tel que celui-ci s’ouvre donc et se découvre comme un espace de la multiple coprésence : l’aura de chaque image y échange son « souffle » avec celle de toutes les autres. Mais, également, chaque dimension y reçoit d’une autre sa propre amplitude. Par exemple, la dimension esthétique assez radicale de la série Chambre précaires est inséparable d’une position éthique consistant à photographier les sans-logis sans qu’ils aient eu à poser devant l’appareil : façon de signifier plus fortement, avec des lits déjà vides de dormeurs, la précarité de ces éternels expulsés. Même une entreprise apparemment monographique, comme celle de Karl Blossfeldt dans son fameux livre sur les plantes, aura demandé à être comprise au-delà de sa seule cohérence formelle : d’un côté par Walter Benjamin insistant sur sa dimension temporelle (dans le passage entre le grossissement optique et la Zeitlupe ou ralenti cinématographique), d’un autre côté par Georges Bataille évoquant son incidence émotionnelle (jusque dans ses aspects d’inquiétude sexuelle devant l’« obscure décision de la nature végétale » tendue, selon lui, entre beautés idéales dressées vers le ciel et pourritures obscènes des choses végétales les plus basses, racines ou fumiers)34.

C’est en ce sens qu’il faudrait comprendre les « remontages d’épreuves » comme autant d’espaces matériels — une planche d’herbier, une planche photographique — pour recueillir ces dimensions de l’existence que sont les formes, les temps et les émotions. Freud ne parlait-il pas de l’affect en termes de « cristallisation » ou de « précipité d’une réminiscence35 » (Niederschlag einer Reminiszenz) ? Voilà qui devrait nous inciter à entrevoir dans chaque épreuve, dans chaque état de l’image photographique, le mouvement même de cette épreuve en tant que « précipité affectif » de temps vécu.

 

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Pourquoi donc avoir commencé avec des planches d’herbiers ? Ces planches étaient-elles l’antérieur d’un futur, non seulement intellectuel (la passion de savoir, la curiosité devant l’infinie variété du monde sensible) mais, aussi, émotionnel ? Herboriser — quelle étrange occupation. On accorde toute son attention à des organismes muets qui n’ont que faire de nos propres épreuves ; mais, en même temps, on transfigure cette temporalité de patience devant la nature végétale en une sorte de sagesse concernant, d’un bout à l’autre, notre vie d’épreuves affectives, de passions. Se pencher ainsi sur la « vie photosensible », n’est-ce pas retrouver la ligne d’équilibre, si fragile, entre la réflexion et l’affectivité, la concentration et l’étonnement, la puissance et la délicatesse devant le monde ? N’est-il pas frappant que deux pensées majeures de l’émancipation éthique et politique, si dissemblables fussent-elles, se soient retrouvées dans la même alternance de la polémique à mener dans le monde social et du recueil, si ce n’est le recueillement, à construire devant le monde végétal ?

Jean-Jacques Rousseau n’aura vu aucune contradiction — et il avait, en cela, parfaitement raison — entre sa théorie du Contrat social et ses Rêveries du promeneur solitaire. Dans la « septième promenade » de celles-ci, il s’émerveillait ainsi devant la vie des plantes : « Les plantes semblent avoir été semées avec profusion sur la terre comme les étoiles dans le ciel pour inviter l’homme par l’attrait du plaisir et de la curiosité à l’étude de la nature36. » Par ailleurs, dans ses Fragments pour un dictionnaire des termes d’usage en botanique, il donnait cette première définition, avant de plus longs développements, pour le mot Plantes : « Végétaux disséminés sur la surface de la terre pour la vêtir et la parer37. » Était-ce pour réduire la vie des plantes à une question d’apparence et non d’essence ? Justement pas. Car c’était réhabiliter l’apparence, la vie sensible en général, sur le plan ontologique lui-même. Apparaître est essentiel : c’est exister aux yeux — ou dans le souffle réciproque — de l’autre.

Raison pour laquelle, sans doute, Rousseau dans sa correspondance alla jusqu’à dire, y compris sur le mode de l’humour, sa fraternité mimétique avec les plantes : « Je raffole de la botanique : cela ne fait qu’empirer tous les jours. Je n’ai plus que du foin dans la tête, je vais devenir plante moi-même un de ces matins, et je prends déjà racine38… » Ou, ailleurs : « Tant que j’herborise je ne suis pas malheureux, et […] si l’on me laissait faire, je ne cesserais tout le reste de ma vie d’herboriser du matin au soir39. » Or Rousseau nommait ses herbiers des « mémoratifs ». L’édition de ses Œuvres complètes n’en recense pas moins de onze différents, qui furent l’objet de dons et d’échanges, un peu comme on le fait avec les images ou les livres : « Ce sera désormais mon unique bibliothèque, et pourvu qu’on ne m’en ôte pas la jouissance je défie les hommes de me rendre malheureux désormais40. »

À cette pratique du bonheur mémoratif chez Rousseau pourrait être comparée la pratique de sagesse expectative développée par Rosa Luxemburg lorsque, prisonnière politique dans les geôles de Berlin, de Wronke ou de Breslau, elle réalisa plusieurs cahiers d’herbiers dont l’édition, par Evelin Wittich, comporte quelque quatre cents planches41. Indissociables de la riche correspondance que la dirigeante spartakiste entretenait avec ses amis — et surtout avec ses amies42 —, ces planches d’herbiers manifestent d’abord une passion du monde sensible qui fut celle de toute une existence. Les légendes y sont aussi précises que permettait la vie recluse de la prison. Seule la dernière planche, en novembre 1918, est restée muette : mais ce jour-là, qui était celui de sa propre libération après la capitulation de l’Allemagne et la proclamation de la république, Rosa Luxemburg n’avait plus d’autre temps que celui d’aller se jeter corps et âme dans la lutte politique à Berlin. Ce n’était guère que huit semaines avant son assassinat43.

On comprend alors que cette passion pour le monde sensible n’était autre, chez Rosa Luxemburg, qu’une autre façon de mettre au travail son imagination politique elle-même. Les passages lyriques de sa correspondance chantent en effet, presque toujours, la beauté d’un partage en commun. Non que la nature, végétale ou animale, la consolât du malheur humain, comme chez Jean-Jacques Rousseau. Mais elle engageait un désir tenace : un désir tenu par la certitude principielle qu’il n’y aura jamais de politique du partage sans partage de la sensibilité, dont l’herborisation — à côté des lectures poétiques, voire la pratique picturale qui fut, à un moment, la sienne — apparaissait à Rosa Luxemburg comme une manifestation aussi exemplaire que modeste.

 

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Il y a peut-être des gens qui herborisent — ou qui photographient — pour passer le temps, c’est-à-dire pour faire semblant de s’en passer. Jacqueline Salmon fait, au contraire, partie de ceux qui herborisent et photographient pour se mettre à l’épreuve du temps. Cela ne va pas, ne peut pas aller, une fois encore, sans un désir tenace. S’il est vrai que notre vie elle-même ne tient qu’à l’échange de nos souffles avec ceux des plantes, comme le dit Emanuele Coccia, alors il faut comprendre qu’herboriser ou photographier, ces affaires de la « vie photosensible », se révèlent aussi bien constitutives de notre vie psychique elle-même. Quoi de plus banal qu’un cyclamen séché sur une planche d’herbier ? Ou qu’un plant de haricots photographié avec ses racines ? Et cependant, de la simplicité des choses sensibles remonte souvent les bouleversantes turbulences, les souffles de la psyché.

C’est comme dans les rêves où rien ne semble arriver. L’un des premiers que Freud consigna — pour lui-même et pour penser ce qui s’y passait pourtant — était de ce type. Il se réduit à moins de quatre lignes : « Contenu du rêve. J’ai écrit la monographie d’une certaine plante. Le livre est devant moi, je tourne précisément une page où est encarté un tableau en couleur. Chaque exemplaire contient un spécimen de la plante séchée, comme un herbier44. » On sait que Freud, dans L’Interprétation des rêves, se sera obstiné à interroger le sens et la sensibilité de cette absence même de sensationnel : « L’interprétation, au contraire, me ramène sans cesse [à des] événements importants et qui m’avaient ému à juste titre45. » Comme l’affect lui-même, l’image de rêve — si « neutre » qu’elle puisse apparaître — offre bien quelque chose comme le « précipité d’une réminiscence » ou, plutôt, de multiples images et temporalités réminiscentes : le cyclamen, fleur préférée de sa femme, les noms Gärtner (« jardinier ») ou Flora, la monographie écrite en 1884 par Freud sur la cocaïne, la planche autrefois arrachée d’un livre d’images en couleur, l’herbier de l’époque scolaire et les petits vers qui le dévoraient (le mot Bücherwurm équivalant, de plus, au caractère de Freud lui-même en tant que « vers de livres » ou, comme on dit en français, « rat de bibliothèque »)… Tout cela pour assumer dans ce rêve une « tonalité affective » guidée par le désir « passionné », écrit Freud, d’affirmer sa propre « fantaisie » ou « liberté46 ».

 

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Commencer avec des planches d’herbier ? C’était reconnaître dans l’herbier un paradigme pour ce qui est capable de recueillir et de « précipiter » — mais avec tendresse — tout un monde d’épreuves : une mémoire sensible, voire photosensible. C’était assumer que des images, toujours, nous accompagneront, puissantes ou fragiles, éclatantes ou diaphanes, collées à nos éparses feuilles de vie. Et que tout cela innerve notre pensée, notre langage, nos verbiers, nos temps psychiques47.

Comment, alors, terminer ce recueil ? Jacqueline Salmon a choisi : ce sera l’image d’un petit tumulus qu’elle a photographié au cimetière de Port-Bou. Des anonymes l’ont érigé pour servir de support — fût-il informe — à la dépose mémorative des petits cailloux funéraires en usage dans la tradition juive : hommage à Walter Benjamin dont le corps ne fut jamais retrouvé. Ce sera reconnaître que la mort passe toujours par là mais qu’il y a aussi, quelque part, malgré tout, de possibles futurs antérieurs, selon cette temporalité paradoxale que Jacques Derrida n’aura pas manqué de situer comme un leitmotiv sur ce chemin transfrontalier serpentant depuis la fondamentale « survérité du survivre48 » jusque vers l’économie « future » et « antérieure » des traces (comme on le lit dans Psyché49), donc vers la question de l’archive, ce futur antérieur des choses gardées en mémoire50.

Et, pour ne pas finir même lorsqu’on termine quelque chose, le chemin continuera de toute façon puisque son mouvement, en tant que « futur antérieur », débordait déjà et débordera toujours le présent de l’actualité. À la fois nous y « prenons acte » d’une histoire et nous y « faisons appel » pour un avenir. Cela n’étant possible qu’à avoir fait lever le geste, simple et politique, toujours prédestiné et toujours riche d’avenir, de l’amitié51.

 

(2020)

1 Cf. A. Arber, Herbals: Their Origin and Evolution. A Chapter in the History of Botany, 1470-1670, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 1912 (éd. 1990).

2 Cf. notamment C. Nissen, Die botanische Buchillustration, ihre Geschichte und Bibliographie, Stuttgart, Hierseman, 1951. T. O’Malley et A. R. W. Meyers (dir.), The Art of Natural History: Illustrated Treatises and Botanical Paintings, 1400-1850, Washington-New Haven-Londres, National Gallery of Art-Yale University Press, 2008.

3 D. Freedberg, The Eye of the Lynx. Galileo, his Friends, and the Beginning of Modern Natural History, Chicago-Londres, The University of Chicago Press, 2002, p. 195-244.

4 L. Daston et P. Galison, Objectivité (2007), trad. S. Renaut et H. Quiniou, Dijon, Les Presses du réel, 2012, p. 69-222 (notamment p. 149-163 pour la photographie).

5 Cf. notamment A. Geus (dir.), Natur im Druck. Ein Ausstellung zur Geschichte und Technik des Naturselbstdrucks, Marbourg, Basilisken-Presse, 1995. G. Didi-Huberman, La Ressemblance par contact. Archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte (1997), Paris, Les Éditions de Minuit, 2008.

6 Cf. A. Jammes, William H. Fox Talbot, Inventor of the Negative-Positive Process, New York, Collier-Macmillan, 1973. G. Buckland, Fox Talbot and the Invention of Photography, Londres, Scholar Press, 1978 (rééd. Boston, David R. Godine, 1980).

7 Sur ces deux « inventions » concurrentes, la française et l’anglaise, cf. F. Brunet, La Photographie, histoire et contre-histoire, Paris, PUF, 2017, p. 25-69. Pour une anthologie des textes de Talbot réagissant, en 1839, à l’invention de Daguerre, cf. S. Siegel, 1839. Daguerre, Talbot et la publication de la photographie. Une anthologie (2014), trad. J. Torrent, J.-F. Caro et S. Yersin Legrand, Paris, Macula, 2020, p. 140-204.

8 H. von Amelunxen, Die aufgehobene Zeit. Die Erfindung der Photographie durch William Henry Fox Talbot, Berlin, Dirk Nishen, 1989.

9 Cf. L. J. Schaaf, The Photographic Art of William Henry Fox Talbot, Princeton-Oxford, Princeton University Press, 2000, p. 23, 43, 45, 49, 53, 55, 57, 61, 131 et 187.

10 W. H. F. Talbot, Le Crayon de la nature (1844-1846), trad. M.-L. Cazin, dans S. Hedtmann et p. Poncet, William Henry Fox Talbot, Paris, Éditions de l’Amateur, 2003, p. 79.

11 Ibid., p. 82-83.

12 Ibid., p. 84-85.

13 Ibid., p. 96 (commentaire de la planche VII).

14 F. Brunet, La Naissance de l’idée de photographie, Paris, PUF, 2000 (éd. 2012), p. 117-156.

15 J.-C. Bailly, L’Instant et son ombre, Paris, Le Seuil, 2008, p. 38.

16 W. H. F. Talbot, Le Crayon de la nature, op. cit., p. 79.

17 Ibid., p. 98-99, 101 et 116-117. Cf. M. Pic, « La bibliotheca obscura de W. H. F. Talbot », dans Les Désordres de la bibliothèque, Trézélan, Filigranes Editions, 2010, p. 47-71.

18 L. Lebart, « La photographie d’origine végétale », Puissance du végétal et cinéma animiste. La vitalité révélée par la technique, dir. T. Castro, P. Pitrou et M. Rebecchi, Dijon, Les Presses du réel, 2020, p. 117-118.

19 Ibid., p. 120.

20 Ibid., p. 120-121.

21 Ibid., p. 122-124. Cf. G. Didi-Huberman, L’Empreinte du ciel (édition et présentation des Caprices de la foudre de Camille Flammarion [1905]), Paris, Antigone, 1994, p. 11-64.

22 Cf. R. Agnese, « La photographie des plantes. Un regard technique sur le vivant », Puissance du végétal, op. cit., p. 142-146.

23 A. Auer, « Die Entdeckung des Naturselbstdruckes », Denkschriften der kaiserlichen Akademie der Wissenschaften. Mathematisch-naturwissenschaftliche Classe, V, 1853, n° 1, p. 107-110. Cf. L. Daston et P. Galison, Objectivité, op. cit., p. 131.

24 A. de Candolle, La Phytographie, ou l’art de décrire les végétaux considérés sous différents points de vue, Paris, Masson, 1880.

25 K. Blossfeldt, Urformen der Kunst. Photographische Pflanzenbilder, Berlin, Wasmuth, 1928. W. Benjamin, « Du nouveau sur les fleurs » (1928), trad. C. Jouanlanne, Sur l’art et la photographie, Paris, Éditions Carré, 1997, p. 69-73.

26 Cf. T. Castro, « À l’écran, le végétal s’anime. Cinéma, animisme et sentience des plantes », Puissance du végétal, op. cit., p. 41-73. P. Dubois, « Fleurs de pellicule », ibid., p. 167-193.

27 E. Coccia, La Vie sensible (2010), trad. M. Rueff, Paris, Payot & Rivages, 2010, p. 148-149.

28 Id., La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Paris, Payot & Rivages, 2016, p. 62.

29 Ibid., p. 63.

30 Ibid., p. 65-66.

31 P. Celan, « Renverse de souffle (Atemwende) » (1967), Choix de poèmes réunis par l’auteur, trad. J.-P. Lefebvre, Paris, Gallimard, 1998, p. 225-281. E. Levinas, Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, Nijhoff, 1971 (rééd. Paris, Le Livre de poche, 1990), p. 201-277.

32 J.-C. Bailly, Le Dépaysement. Voyages en France, Paris, Le Seuil, 2011.

33 Cf. G. Didi-Huberman, Atlas ou le gai savoir inquiet. L’œil de l’histoire, 3, Paris, Les Éditions de Minuit, 2011. Id., « Album vs. Atlas (Malraux vs. Warburg) », trad. M. Sedlaczek, Album. Organisationsform narrativer Kohärenz, dir. A. Kramer et A. Pelz, Göttingen, Wallstein Verlag, 2013, p. 59-73.

34 W. Benjamin, « Du nouveau sur les fleurs », art. cit., p. 69-73. G. Bataille, « Le langage des fleurs » (1929), Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, 1970, p. 173-178.

35 S. Freud, Conférences d’introduction à la psychanalyse (1916-1917), trad. F. Cambon, Paris, Gallimard, 1999, p. 501 (trad. modifiée).

36 J.-J. Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778), Œuvres complètes, I. Les Confessions. Autres textes autobiographiques, éd. dirigée par B. Gagnebin et M. Raymond, Paris, Gallimard, 1959 (éd. 2013), p. 1069.

37 Id., Fragments pour un dictionnaire des termes d’usage en botanique (1771-1774), Œuvres complètes, IV. Émile. Éducation. Morale. Botanique, éd. dirigée par B. Gagnebin et M. Raymond, Paris, Gallimard, 1969 (éd. 2010), p. 1239.

38 Id., Lettre du 1er août 1765. Cité par G. Ducourthial, La Botanique selon Jean-Jacques Rousseau, Paris, Belin, 2009, p. 38.

39 Id., Lettre du 19 décembre 1768. Cité ibid., p. 89.

40 Id., Lettre du 10 juin 1768. Cité ibid., p. 130.

41 R. Luxemburg, Herbarium (1913-1918), éd. E. Wittich, Berlin, Karl Dietz Verlag, 2016.

42 Id., Lettres et textes choisis (1916-1918), trad. G. Badia, Paris, Le Temps des Cerises, 2014.

43 Cf. G. Didi-Huberman, « Rosa Luxemburg, en l’absence de tout refuge », Mauvaises herbes, dir. C. F. Cavaleiro, M. Convert et M. Galichet, Biarritz, Artistes & Associés, 2020, p. 158-165.

44 S. Freud, L’Interprétation des rêves (1900), trad. I. Meyerson revue par D. Berger, Paris, PUF, 1967 (éd. 1971), p. 153.

45 Ibid., p. 157.

46 Ibid., p. 153-159, 171, 245-247, 263-264 et 398.

47 Cf. N. Abraham et M. Torok, Cryptonymie. Le verbier de l’Homme aux loups, Paris, Aubier-Flammarion, 1976 (rééd. Paris, Flammarion, 1999).

48 J. Derrida, Parages, Paris, Galilée, 1986 (éd. revue et augmentée, 2003), p. 174.

49 Id., Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Galilée, 1987 (éd. augmentée, 1998), p. 190.

50 Id., Mal d’archive. Une impression freudienne, Paris, Galilée, 1995, p. 22 et 60.

51 Id., Politiques de l’amitié, Paris, Galilée, 1994, p. 242 et 280.