Thierry Dumanoir

La course, le regard libéré


Capture d’écran 2014-04-29 à 11.03.09Ce film est bien un reportage sur une course de chevaux et non la restitution de son commentaire radiophonique. Ce qui caractérise une course, c'est la tension qu'elle crée sur un court laps de temps et c'est ce qu'elle met en jeu durant ce laps de temps. Assister à une course, c'est être capté par cette accélération, cette captation étant accentuée par la connaissance que l'on peut avoir des chevaux engagés et des paris qui ont pu être faits sur leurs possibles résultats car il n'y a pas de course sans gagnant. En même temps toutes les courses de chevaux se ressemblent, dégagent la même musique. Evénement autant que répétition mais surtout attente d'une répétition de l'événement.

Ce documentaire de Jacqueline Salmon s'appuie sur une trilogie simple, puissante et efficace, celle du cadre fixe, du plan séquence et d'un enregistrement son en direct, véritable assignation de l'être-là qui produit ce triple effet d'interrogation, de poésie et d'humour. Effet qui doit aussi beaucoup au collage de deux scènes dissociées dans le réel : l'ambiance sonore du champ de course décalquée, le temps d'une course, sur un plan fixe montrant les espaces de toilettage des chevaux.

Ce reportage sur une course de chevaux est entendu pour mieux être vu et tout son intérêt résulte du stratagème utilisé pour ce faire. Le paradoxe résulte du fait que ce que donne à voir immédiatement le cadre de l'objectif de la caméra posée, au lieu d'être la scène première, en est une autre, seconde. Alors que ce qui se constitue comme la scène première est une reconstruction virtuelle de la course élaborée à partir de l'écoute de son commentaire.

La reconnaissance que nous avons tous du commentaire d'une course embraye automatiquement sur un ensemble de représentations qui sont prégnantes et qui acquièrent d'emblée un statut d'évidence alors que ce qui se déroule sur l'écran paraît anecdotique, la minoration de ce qui s'y passe étant accentuée par le fait que le spectateur est privé de la visibilité de l'événement. Cette frustration amortie, la scène anecdotique est appréhendée progressivement sur un mode interrogatif, informatif puis humoristique.

Ce qui s'entend fait immédiatement image, ce qui se voit est neutralisé parce que défait de l'emprise produite par ce qui est entendu. Mais avec la durée, même si la course est somme toute très courte, la virtualité des images s'émousse et l'insistance de ce cadre posé et animé prend corps. Le spectateur tente des rapports de causalité entre les protagonistes mais en vain. Il lui reste à entrer dans une poésie de l'aléatoire : ces rapports fortuits entre les personnes filmées, la toilette de ce magnifique cheval noir en écho, dans cette exposition, avec la salle de bains de M. de Longueil, jusqu'au balancement des douchettes abandonnées qui marquent la fin de la toilette du cheval ainsi que celle du film, donc celle de la course sur qui tout est réglé.

L'épreuve est terminée mais le balancier du temps, les douchettes qui vont et viennent, poursuit sa course, ultime trait d'humour qui désigne le temps d'après, donc celui qui vient. Telles pourraient être les preuves de l'épreuve alors que tout reste à recommencer.




Thierry Dumanoir, VLA le 29 juillet 2009 "La course", film de Jacqueline Salmon (2'30), a été réalisé le 10 avril 2009 pour les "Premières rencontres photographiques de Maisons-Laffitte". Il est présenté dans le cadre de l'exposition "Les matins" et "Centaures" au château de Maisons et a été produit par le CMN, la ville de Maisons-Laffitte et l'association "Photographie d'auteur".