Jacqueline Salmon

Concertina Clairvaux

concertina Clairvaux-1De la maison centrale de Clairvaux on ne voit que les murs de pierre construits par Saint Bernard qui s’étalent dans le paysage.

On en parle beaucoup dans le voisinage, chacun a son opinion « Ils ont tout » peut-on entendre d’une voix outragée. La peine d’enfermement ne parait pas assez sévère pour ces hommes qui ont enfreint violemment la loi. Mais qui peut imaginer ce qu’est exactement une privation de liberté et le déroulement quotidien de la vie dans un centre pénitentiaire ultra sécurisé ?

Le temps est contraint, haché au rythme des « déplacements » aux heures impératives. Grilles après grilles s’ouvrant et se refermant par des serrures électroniques depuis la cellule presque privée jusqu’aux ateliers, au terrain de sport, à la salle d’activité, à la cabine téléphonique sur écoute, aux parloirs dont on sortira fouillé au corps… invisible l’horizon se rapproche parfois, recule le plus souvent, trop lointain pour être perceptible . Les jours se renouvellent, identiques. Seules les saisons
apportent la variation des couleurs de la forêts au delà des enceintes et rendent Clairvaux plus supportable à certains , ayant connu d’autres centrales.

C’est là, dans ces conditions de vie, qu’une douzaine de détenus se sont inscrits à l’atelier de photographie, préalable à l’atelier d’écriture d’Anne Marie Sallé.

L’incarcération a ainsi été photographiée par les détenus eux même, posément, sans précipitation, avec pour thème celui de la limite. Exploration de l’espace mental ou réel, dans lequel chacun est parvenu à préserver un peu de son identité .

En 1993 j’avais pu réaliser une série de photographies dans la partie désaffectée , qui avait été installée dans l’abbaye au XIXe. Je n’aurais pas souhaité entrer dans la détention, mais en 2011 j’étais préparée par l’expérience vécue à la Maison d’arrêt de la Santé que j’avais récemment photographiée comme un lieu de vie, et dès la première rencontre j’ai senti que nous allions faire
un travail sérieux, dans une atmosphère de confiance. Chacun ayant déjà déposé son projet pour les autorisations. De mon côté j’apportais mes appareils professionnels, réflex et camescope, pour me mettre au service de leurs idées et les rendre réalisables.

Dans le projet conçu par Anne Marie Sallé et présenté ici, le rôle de la photographie est celui d’un révélateur favorisant la rencontre et la compréhension ; le pivot sur lequel peuvent s’équilibrer à la fois leurs textes et l’écriture du compositeur Philippe Hersant.

Dans l’ensemble du travail, nous avons vu l’incarcération soudain représentée de l’intérieur dans la vérité non seulement des lieux, mais aussi dans celle des êtres. Exposer ces photographies, les ouvrir aux commentaires témoignerait en silence, sans parti pris, des choses telles qu’elles sont mais surtout telles qu’elles se pensent par les détenus.

Jacqueline Salmon, L’atelier de photographies, Clairvaux 2011