Jacqueline Salmon

Abécédaire

in: Livre Légumes, 2011

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A comme amis

Tous les ans Nancy et Philippe Vermès fêtent Thanks Giving, les amis apportent la traditionnelle dinde farcie, les sauces aux baies rouges, tartes au potiron et à la carotte ; tout une gamme de goûts et de textures à l’américaine inconnues et savoureuse. Du coup j‘ ai longtemps cherché « Le » livre de cuisine américaine introuvable en France. Je l’ai trouvé au Québec chez un bouquiniste, un livre formidable qui non seulement donne des recettes traditionnelles mais raconte l’histoire de cette cuisine joliment illustrée de photographies des années 50. C’est à Nancy aussi que je dois d’avoir appris à mettre au four une cocotte de fonte. Elle avait préparé ainsi un lapin aux ananas couvert d’une panne …lorsqu’elle avait soulevé le couvercle, puis la panne, le lapin était si rose qu’on aurait dit… une chair d’enfant… une émotion nous a saisis, l’espace d’une seconde, puis Philippe a commencé la découpe et le service, et les voix enjouées ont cassé le silence. Nous nous sommes régalés…. Depuis je prépare de nombreux repas en mettant au four la cocotte en fonte. Serge Mathieu m’a appris à cuire les viandes sans les faire revenir afin que leur goût ne soit pas dénaturé par celui des graisses cuites. Je mets tous les ingrédients dans la cocotte le matin et je programme le four en choisissant une cuisson douce et un temps long. Les tagines, ragoûts, goulasch, volailles sont aussi bons cuits une demie heure de plus ou de moins, juste un peu différents mais toujours réussis et aussi bons réchauffés si il le faut. C’est ma solution pour les dîner des jours où je travaille tard et où l’on a invité des amis. Lorsque j’étais plus jeune, à l’époque où j’habitais à Lyon avec Jean Jacques Romagnoli, on recevait souvent à l’improviste. Au driiiiiing de la sonnette on allait ouvrir la porte et c’était la surprise, on trouvait des amis, débarquant avec leurs sourires et une bonne bouteille.
Peu importe alors ce que étions entrain de faire, la fête commençait en inventant le repas. Parfois c’était nous qui décidions d’aller en voir d’autres comme ça sur le pouce. Je regrette souvent cette manière de vivre qui s’est perdue avec l’arrivée des codes aux portes des immeubles. Il m’arrive malgré tout encore que des amis de mon âge passant sous mes fenêtre me donne un coup de fil : « tu es là ? je passe ! » ça commence par un apéro, ça se termine par un repas et il faut imaginer imaginer avec avec le contenu des placards et du réfrigérateur. Ça me dérange dans mon travail, ça bouscule les prévisions que j’aurais pu avoir pour la soirée mais j’aime ça par-dessus tout, comme j’aime que Sylvie et Ennemond Mazuyer m’invitent à dîner dès que j’arrive à Charnay et préparent un délicieux repas bien qu’Ennemond rentre tard et reparte très tôt le matin, le plaisir du repas pris ensemble plus fort que la fatigue dit leur amitié plus que des mots.


B comme Botanique

C’est sans doute parce que durant des années j’ai réalisé un herbier des plantes de ma campagne que j’ai eu un jour l’idée de photographier les légumes. A l’époque de l’herbier, c'est-à-dire celle de l’enfance de mes deux fils, nous allions en promenade avec la berthe à lait remplie d’eau et revenions avec les nouvelles plantes que nous avions trouvées. Elles se faisaient de plus en plus rares au fil des années, nous avions l’impression de tout connaître. Il fallait des heures, plusieurs jours et de la patience ensuite avec une loupe et la flore de Bonnier pour leur donner un nom. Lorsque je suis devenue photographe j’ai souvent chercher l’idée d’un travail photographique lié à la botanique et durant de nombreuses années, je n’ai pas trouvé On connaissait de beaux travaux qui représentent des planches d’herbiers anciens, mais le sujet ne me paraissait pas suffisant, et de toute manière il était déjà traité. Un jour de l’année 1997 j’entendis parler à France culture du livre d’un philosophe chinois du XVIIe siècle qui venait de paraître, le titre était : Propos sur la racine des légume.,

J’avais trouvé mon sujet ! Il était impossible de faire des planches de légumes en les mettant sous presse, il existait des dessins, mais aucun ne montraient la totalité de la plante, se contentant de représenter la partie comestible. Les parents d’ Italo Calvino étaient botanistes. Eux aussi promenaient leur garçon en lui disant le nom des plantes rencontrées sur le bord du chemin. Lorsque Yves Marie Marchand m’a commandé un livre sur un grand écrivain du XX° siècle pour les éditions Marval, j’ai aussitôt choisi Italo Calvino, j’ai voulu voir à Vienne l’herbier des Habsbourgs pour lequel ils avaient fait construire un bâtiment. Il y a un herbier de plantes médicinales, dessinées avec leurs racines. D’origine arabe les planches, sont annotées en grec. Des cartes postales ont été éditées, je l’ai achetées, elles ont habité ma vie au quotidien et sans doute participé à mon insu à mon désir soudain de photographier les légumes avec leur racine.


C comme Chefs

Lorsque j’étais jeune fille et que j’ai commencé à ressembler à une femme mon père a aimé me sortir et me montrer à ses amis. A cette époque il avait un poste important chez Unilever et il était souvent invité dans de grands restaurants, c’est comme ça que j’ai fait mon entrée dans le monde d’une société que je ne fréquente plus aujourd’hui. On collectionnait les chefs, on allait chez le Père Bise à Talloires, chez Blanc à Vonas, chez Prunier à Paris, on a fait mes fiançailles chez Chapel à Mionnay. Je n’étais pas allée chez Point à Vienne, mais ça faisait parti de mes regrets, c’était sur la liste ! Curieusement je me souviens plutôt des ambiances que des goûts, de la collection que je faisais comme celle des pays étrangers dans lesquels j’avais posé les pieds. Si j’exclue le caviar dont je garde encore aujourd’hui dans la bouche la délicieuse fraîcheur lorsque les oeufs éclatent sous le palais, je n’ai pas de grands souvenir gastronomique, j’étais peut-être encore trop jeune, où plutôt -je le pense tout d’un coup - je n’avais pas rencontré les alliances de goûts et de textures qui devaient mettre ma tête à l’envers à mon premier repas chez Gagniaire à Saint Etienne. C’est un amoureux m’a fait ce cadeau au milieu des années 80. Il y a eu aussitôt pour moi, un avant et un après Gagniaire, je croyais bien cuisiner, j’ai pensé que je cuisinais comme un cochon ! Je faisais des gratins de légumes avec du fromage, ou des fruits de mer à la béchamel, j’avais appris les recettes de ma mère ou de ma grand-mère qui elles-mêmes les tenaient de leurs mères. Du jour au lendemain je n’ai plus pensé un plat de la même manière. La cuisine était devenu un lieu de création, d’expérimentation, de liberté !


D comme Dimanche

C’est le jour où il n’est pas urgent de répondre aux messages urgents, celui du marché. Le marché de la rue de Joinville, dans le XIXème arrondissement de Paris, C’est déjà un voyage: sur les trottoirs les petits marchands à la sauvette étalent les piles de menthe, de persil plat, de coriandre qui embaument. C’est un marché rude: les allées sont étroites, on s’y bouscule, on se fait marcher sur les pieds, les cadis s’accrochent. mais rien n’est cher, les arabes hèlent le client d’une voix chantante et partagent les grenades les ananas ou les oranges pour montrer leur pulpe juteuse.
J’ai eu envie d’inventer en ville des dimanches comme à la campagne, d’inviter les amis en pensant que l’on fera la cuisine ensemble. C’est comme ça que j’ai connu la recette de la salade libanaise que Renée Herbouze avait préparée sur la terrasse un jour de grand soleil.


E comme Eplucher

Eplucher ne pas éplucher, depuis que la diététique est arrivée sur le devant de la scène, on épluche moins, on sait qu’il faut manger des fibres, les vitamines étant en plus grande quantité sous la peau, on appris à aimer le goût de la peau de pomme de terre lorsqu’elles sont sautés ou celle de l’aubergine dans une ratatouille. Mieux, la peau est parfois devenu un ingrédient en soi comme chez Claude Colliot qui propose des chips de peau de tomate : « Plonger la peau des tomates 30 secondes dans l’huile très chaude, déposer sur un papier absorbant et saler »
L’épluchage des légumes et leur préparation fait parti des moments conviviaux de la vie de la famille et des relations intimes avec les amis, il m’arrive souvent de présenter Sylvie Mazuyer comme l’amie avec qui j’écossais les petits pois lorsque nos enfants étaient bébés. C’est elle qui m’a donné la recette de la soupe de petits pois au lait de coco et à la menthe. Dans notre vie de campagne nos conversations se passaient à la maison en épluchant les légumes du jardin et en surveillant les enfants. Plus tard dans les années 80 je vivais à la ville avec un homme tourmenté et partagé entre deux amours, Il me réveillait la nuit pour parler et nos discutions tournaient invariablement au drame. Je ne savais plus comment réinventer les moments d’une vie heureuse. Un jour je lui ai dit - et je voyais cela comme un point de philosophie appliquée au quotidien –
« Nous devrions tous les jours éplucher les légumes ensemble… » Récemment dans un portrait filmé de Jeanne Moreau elle a dit ceci qui n’est pas très loin de ce que je ressens « ma façon de prier, c’est d’éplucher des légumes en silence »


E comme Eté et comme Enfants

on est nombreux, on vit à demi dehors, les petits enfants sont là avec leurs copains, on se retrouve tous pour tous les repas. Cela sous entends que je fais tout pour que ce soit un plaisir pour les petits et les grands et que la préparation ce que que l’on mange prend des allures de challenge. le succès est évidemment assuré avec les pizzas et « les pâtes de secours – pâtes blanches ou pâtes « à la rien » » sont nécessaires comme le riz blanc ou les pommes de terre à la vapeur pour compenser la variété la présence de préparations inconnues et les goûts épicés qui ne sont pas toujours appréciés des plus petits . Mais quel plaisir d’entendre les petits demander des mezes* ou des papadums* et de les voir piquer en douce des Pois chiche- noisette* préparés pour l’apéritif.

En vieillissant et tandis que la famille prend de plus en plus d’ampleur j’ai presque abandonné le service à l’assiette que je réserve pour les repas quotidiens et les amis jusqu’à 6 personnes. Dès que les vacances arrivent et que l’on est plus de 8 à table il m’arrive de plus en plus souvent à la grande joie des enfants qui piochent dans ce qu’ils aiment de disposer sur la table un ensemble de plats .Les petits restes trouvent ainsi leur place en prenant même des allures raffinées , pois chiches encore fermes* comme des noisettes, petites ratatouilles, gaufres ou popodum *de farine de lentilles pomme de terre tièdes au cumin et aux anchois* crème de carotte tranches fines de radis noir etc.. selon le réfrigérateur et les convives avec toujours en plus un compotier de riz de semoule de couscous de pomme de terre à la vapeur ou de pâtes « à la rien ».

On met en place une coutume que j’avais inventée pour mes deux fils, : ils doivent mettre la table, mais par contre ils la mette comme ils veulent : choix de la nappe, choix de la vaisselle , choix des couverts , je me souviens de Stéphane qui choisissais les verres en baccarat, je frémissais , mais la règle c’est la règle, et c’était une manière de leur apprendre le goût et l’ usage des beaux objets s. de voir si un décor d’assiette était fait à la main et de reconnaître les beaux objets même usagés aujourd’hui où les vides grenier sont devenu un rituel des week- end Une autre coutume est entrain de se mettre en place : le choix de son menu d’anniversaire, et évidemment la participation à sa préparation. On sort de cela épuisé, mais en ce disant c’est sans doute ça le bonheur !


F comme Feu

C’est un jeu depuis toujours : je rapporte des allumettes de tous mes voyages je les offre, je les mets dans des tiroirs, et c’est toujours un plaisir de les retrouver longtemps après de reconnaître les étiquettes et de se souvenir des lieux où elles ont été ahetées. Comme je ne fume pas, c’est sans doute pour conserver leur usage que je tiens à faire la cuisine au gaz. J’aime la rapidité du gaz et de la poêle en fer que je lui associe, j’aime qu’il accepte toutes mes gamelles rapportées de voyages toutes celles de ma grand-mère, la poêle à paella gondolée par l’usage, le vieux gaufrier en fonte qui cuit si bien si vite et sur lequel j’ai réussi récemment des gaufres à la farine de lentille. Je me souviens avoir pensé pour refuser une plaque électrique : Il faut tout de même pouvoir bucler un poulet, même si je ne le fais plus depuis longtemps ! Mais plus que ça, le feu plonge ses racines dans l’inconscient, il nous relie à la nuit des temps au tout début de la civilisation.


F comme Flemme

Il y a des légumes qui demandent du courage : peler des topinambours, ses crosnes ou des scorsonères, ce n’est pas quelque chose que l’on envisage facilement dans nos vies bousculées. Les pauvres topinambours ont des formes compliqués et il faut les éplucher, de plus ils traînent une réputation de légume de guerre, ils sont à la pomme de terre ce que la chicorée est au café, et pourtant comme cette dernière dès qu’on ne se mêle plus de vouloir les comparer à ce qu’ils ne sont pas, comme ils sont délicieux ! Le scorsonère lui sali les mains il faut l’éplucher avec des gants, le jeter aussitôt dans une bassine d’eau citronnée. Est-ce pour cela qu’on les trouve de moins en moins sur les marchés ? Les petits crosnes, à peine plus gros qu’un escargot, et resté un légume privilégié dans la région lyonnaise, il est difficile d’imaginer un repas de nouvel an sans eux, même si le plat est petit parce qu’ils sont très chers, même si il faut de la patience d’abord au maraîcher qui les récolte dans une terre gelée, puis au consommateur qui doit les frotter avec du sel pour détacher leur peau. Je les auraient tous voulus dans mes photographies mais ils n’étaient pas cultivés à la ferme des Bioux. Culpabilisées envers eux de les savoir absents de mes photographies, comme le panais, le céleri, le concombre, la betterave rouge, la laitue… je les ai fait entrer subrepticement dans quelques recettes, pour ne pas laisser penser que je les aurais négligés.


G comme Grandir

Mon père n’était pas vraiment heureux lorsque mes enfants allaient le voir : ils s’ennuyaient et le manifestaient, ils laissaient des miettes sur les tapis au moment du goûter, ils bougeaient, bref, ils accumulaient tous les défauts. Il aura fallu que Jean- François soit déjà grand, que j’habite dans une maison de vigneron en Beaujolais, et que j’ai une commande sur les vins de la côte chalonnaise, pour qu’une histoire vraie s’installe entre mon fils aîné et son grand père. J’avais la cave, mon père avait l’argent et Jean François le désir de connaître les vins. Les vignerons de Mercurey de Givry de Rully, s’étaient entendus pour m’offrir leurs meilleurs vins afin disaient-ils que je fasse de bonnes photographies. Et du coup dans la grande cave qui jusque là était restée vide il y avait un porte bouteille de fer assez bien garni. Comme une plante qui aurait lâcher ses graines, cette petite étagère s’est démultipliée à grande vitesse, jusqu’à emplir tout l’espace ! Les enfants et leur grand père avaient enfin quelque chose à se dire, un projet commun, des voyages, des salons à visiter, des conversation, et le respect les uns des autres. Le vin était devenu avec efficacité, l’intercesseur, le signe du passage de l’enfance à l’âge adulte, et cette époque qui aura duré 20 ans aura profondément changé notre manière de vivre.


G comme Grand-mère

Il y avait deux cuisines dans l’appartement de ma grand-mère Ferrand 26 rue de l’annonciade à Lyon, la cuisine normale où l’on vivait, et la vieille cuisine où l’on déversait directement sur le sol les boulets d’anthracite. C’est là que mon grand père se rasait devant une petite glace accrochée à l’espagnolette de la fenêtre, au dessus de l’évier de pierre. Il y avait un cagibi dans lequel il rangeait ses outils. Dans un coin, était suspendu, un grand sac à charbon qu’on avait dû laver où ma grand-mère logeait les « pattes » : chiffons usés et tombées des cravates qu’elle cousait attentivement à longueur de journées. Parfois, elle était fière de faire des cravates signées Dior et moi aussi du coup. C’est là aussi que les peaux de lapin bourrées de paille séchaient en attendant le passage du Patero. Patero oh ! criait-il en tirant dans la rue sa charrette. C’est alors à la fenêtre de la vraie cuisine que l’on se penchaient. Il montait chercher les pattes et les peaux, donnait un peu d’argent, puis continuait en criant sa chanson. Depuis cette fenêtre, je dominais mon univers. J’observais la livraison de la limonade au bistrot. Le cheval qui tirait la charrette où les caisses étaient empilées portait des œillères et plus bas je crois me souvenir que les charbonniers arrivaient dans un camion à plateau, ils portaient sur la tête un sac coupé en deux qui protégeait un peu leurs épaules, leur visage était noir. Souvent plus tôt les longs pains de glace avaient été livrés emballés dans une toile de lin Les voisins d’en face avaient une glacière. Puis arrivait le camion qui apportait les bidons de lait. Lorsque l’on m’a considérée comme grande, on m’envoyait le chercher avec une berthe et j‘étais fière mais inquiète par le sombre escalier de l’immeuble qui s’enfonçait sous le niveau de la rue. J’y suis encore souvent dans mes rêves. De cette enfance passée de longues heures à la fenêtre, espérant toujours voir passer « le camion à pépé » avec sa cheminée qui lançait des jets de vapeur noire, je garde les souvenirs d’un monde différent que je suis heureuse d’avoir connu. Je me souviens du jour où mes yeux sont passés de sous la table à sur la table, j’ ai découvert un monde translucide, sur fond de nappe de plastique transparente, la bouteille de marc, le petit verre de pépé, une carafe d’eau peut-être occupaient le centre de ce nouvel univers. Je me souviens de la grande tasse de chocolat où la cuillère qui tenait debout parce que ma grand-mère avait ajouté de la maïzena. Je me souviens des rissoles qu’elle faisait pour me faire plaisir. C’était moi qui passait la roulette à raviole pour les découper! C’est grâce à elle que je prépare aujourd’hui à mes petits enfants les plats qu’ils aiment. Elle m’a appris à tout réparer, à aimer la vie telle qu’elle arrive parfois somptueuse, parfois difficile. Elle m’a couverte d’affection dans l’enfance puis a été présente au long de ma vie, aimant mes garçons, les gardant lorsque j’en avais besoin. Aujourd’hui j’utilise tout ses ustensiles, son écumoire en aluminium, sa roulette, à raviole, sa cuillère à sauce, sa passoire, la belle tasse de porcelaine et le petit verre à marc dans lequel mon grand père me versait de l’eau religieusement. Efficaces, Ils côtoient sans complexes les inventions techniques et les objets design des cuisines contemporaines.


H comme Histoire.

Longtemps la présentation et le service des plats pour les festins s’est fait « à la française » l’ ensemble des mets était présentés simultanément dans une ordonnance somptueuse La bibliothèque de l’Arsenal à Paris a fait une très étonnante exposition en réalisant grandeur nature les tables de festins reproduites dans des livres jusqu’à la fin du XVIIeme. sur des trétaux était installés pour le temps du repas de larges planches recouvertes d’une nappe. Une tête de veau avec ses yeux et ses oreilles pouvait être disposée à côté de fruits confits de faisans avec leurs plumes, de pâtés, de rôtis. C’était magnifique mais l’on mangeait froid forcément. Les yeux considérés comme le met suprême étaient réservés au roi. Louis XIV en raffolait paraît’il, comme il raffolait des petits pois ou des aubergines mais ses goûts étaient peu partagés à la cour. C’est sous le second empire que le « service à la Russe » à pris le dessus à la cour de napoléon III. C’est le service actuel des grands restaurants chaque plat étant apporté sur un guéridon à côté des convives pour qu’ils en apprécient la présentation puis réparti dans les assiettes. Cette mode à été introduite en France par l’ambassadeur de Russie, le prince Kourakine. Avec cette nouvelle manière sont apparu les verres et les couverts pour des usages précis : services à poissons, à asperges à huîtres, à dessert, verres à champagne à vin rouge à vin blanc à eau, tout un mobilier et forcément une salle destinée à manger


I comme Identité Nationale

Si l’on mangeait uniquement des légumes d’origine française il faudrait se contenter des carottes navets panais choux et petits pois, de bettes fèves laitues ail et l’oignon
Pas de frites ni de gratins dauphinois, pas de soupe de potiron, pas de ratatouille ni de salades de tomates, pas d’artichauts ni de haricots, notre cuisine que l’on pense régionale n’existerait pas telle qu’elle est sans la route des Indes, et la découverte de l’Amérique, sans la passion de quelques botanistes et ce continuel effort d’acclimatation des espèces rapportées. Il a fallu la patience la pugnacité des jardiniers affinant leurs sélections sur plusieurs générations. Il a fallu la curiosité et l’imagination des cuisiniers.
On était gourmands déjà mais il a fallu des générations et l’exemple venant de la cour pour que la bourgeoisie puis le peuple reconnaissent comme leur ces goûts venus de loin.
Le topinambour la tomate le haricot le maïs les citrouilles et potirons les piments les courgettes, la pomme de terre viennent du nouveau monde. l’aubergine vient des Indes De la Mésopotamie sont arrivés les pois chiches, les lentilles et les radis.
La mondialisation des produits nous parait un phénomène actuel, elle date, peut être de la préhistoire accompagnant le déplacements des populations.


J comme Jardin et Jardinier

A la fin des années 80 je suis revenue vivre à la campagne, il était judicieux de faire un potager. Mais quelques années avant j’avais modifié mon jardin. De retour d’Italie et d’un travail sur les jardins de Toscane, j’avais réalisé que j’avais sans l’avoir su un jardin suspendu, propice aux chambres d’amour ou de philosophie. De connivence avec ma mère, j’avais fait arracher les arbres fruitiers qui ne produisaient plus, et on avait selon les règles du jardin italien de la renaissance planté des espèces à feuillage persistant ; se limitant à quatre variétés de vert. Il ne restait que la pelouse centrale pour recevoir un potager….J’ai décidé un matin de le faire triangulaire pour le rendre acceptable. Il y avait un plant d’artichaut aux trois angles et ensuite c’était un peu compliqué mais on arrivait de triangles en triangles à planter des haricots des salades, des bettes des courgettes…de la poirée à couper, de l’oseille et toute une variétés d’herbes dont j’ai encore des rejetons aujourd’hui. Ce potager aura duré peu d’années mais suffisamment pour me faire une réputation qui n’était due qu’à se forme bien sûr. Aujourd’hui je préfère acheter mes légumes aux producteurs et lire des livres et m’intéresser à Jean Baptiste de la Quintinie. Après des études de droits et de philosophie, il avait choisi le barreau, et de retour du traditionnel voyage d’études en Italie, il avait décidé de devenir jardinier. D’abord au service de Nicolas Fouquet, puis à celui de louis XIV après sa disgrâce, on lui doit la sélection et l’acclimatation des aubergines des tomates, l’invention d’abris de verre pour capturer la chaleur du soleil et obtenir les petits pois primeurs dont Louis XIV raffolait. On lui doit l’utilisation du fumier comme engrais, la technique des espaliers pour les arbres fruitiers. Colbert avait crée pour lui la charge de « directeur des jardins fruitiers et potagers de toutes les maisons royales


K comme Khalif

Le nouvel an 2009, nous sommes allés chez Michèle et Medhi Moutashar mes amis d’Arles, elle conservatrice du Musée Réattu, lui artiste. Nous avions déjà vecu une aventure culinaire en allant dîner ensemble à l’atelier de Jean Luc Rabanel pour y découvrir ses textures, mousseuse, croquante, gluante, aérienne….. Mais cette fois ci on avait décidé de faire la cuisine nous même et de prendre des vacances en y consacrant tout notre temps. J’avais prévu pour le champagne des billes de foie gras roulées dans la poudre de cacao amer puis décorés de quelques baies roses ou de pétales de gingembre confits. Découvertes avec surprise dans un vernissage, il restait à les mettre en œuvre, je ne suis pas arrivée à faire des billes parfaites, mais le goût était là. Michèle avait offert à Medhi qui est né en Irak la cuisine des califes des David Waines, recueil de recettes dont certaines datent du 9e siècle. L’Irak est alors le lieu d’une culture rayonnante, et La gastronomie considérée comme un art à l'égal de la musique et la poésie. La très grande cuisine a peut-être été inventée là par le prince et poète Ibrahim ibn al-Mahdi, qui aurait été écrit le plus ancien livre de recettes. Impressionnés à la lecture, je me suis lancée dans la préparation d’un ragoût d’ agneau aux épices sous une couverture d’œufs en neige et d’amandes pilées. De quoi comprendre avec le palais le raffinement de la culture musulmane.


L comme livres

Acheter des livres fait parti de notre vie. Jean Christian Fleury mon mari est comme moi, à nous deux les bibliothèques débordent et pourtant on continue à se donner des rendez vous dans des librairies où l’on trouve chaque fois quelque chose de nouveau. Récemment au Bozar, musée d’art contemporain de Bruxelles on a découvert un incroyable rayon de livres de cuisine, un choix de livres d’auteurs aux maquettes inventives. On a acheté pour ses illustrations abstraites en noir et blanc autant que pour son contenu qui nous apprend le secret de chaque forme de pâte Géométrie de la pasta de Jacob Kenedy, un livre que Michel Troisgros a aussitôt eu envie de connaître lorsque je lui en ai parlé. De son côté il me montrait les livres de l’américaine Alice Waters. Il aime qu’ils soient illustrés de belles gravures aux thèmes végétaux plutôt que de photographies, étonné qu’ils aient un si grand succès aux Etats-Unis alors dit-il qu’ils seraient invendables en France. Depuis que je fais ce livre, j’ai élargi le domaine des livres de cuisine dans ma bibliothèque et découvert de plus en plus d’amis qui en font la collection. Ils sont là comme des compagnons de vie, que je visite parfois, je les lis comme des nouvelles littéraires, j’y trouve un détail, une idée, une association de goût, une manière de cuire que je ne connaissais pas ou je les aime simplement pour leur papier, leur maquette et le champ d’imaginaire culinaires qu’ils entrouvrent. J’aurais voulu avoir Lorsque je faisais des études d’histoire à la Sorbonne et que l’on se donnait rendez vous entre étudiants dans les bistrots du quartier latin, on trouvait très « dans le vent » de lire à haute voix des articles du nouveau Larousse gastronomique de 1967 qui venait de sortir. Sur les 1064 pages du volume il doit y avoir une vingtaine de photographies en couleur mais sans doute plus de mille illustrations en noir et blanc, photographies, dessins, ou gravures. On trouve une photographie du socle à gradins en pain de mie pour présentation des pièces froides, mais aussi le « banquet des mutualistes organisé dans la galerie des Machines à Paris le 5 novembre 1905 ». On trouve des cartes gastronomiques. Pour Strasbourg : potage au grenouilles, potage aux noisettes, flan aux écrevisses, bœuf au raifort… j’arrête la liste des 37 spécialités de la ville. Bref un ouvrage utile et inépuisable qui est probablement celui que j’ouvre le plus souvent.


L comme légende

... savez vous pourquoi l’oignon fait pleurer ? On raconte que, pendant leur captivité, les hébreux, se rappelant les moutons de Judée, les chevreaux d’Israël et les belles génisses de Galilée, arrosaient des larmes de l’exil l’invariable oignon d’Egypte dont les pharaons les nourrissaient. C’est depuis ce temps là que l’oignon qu’on dépouille rend les larmes dont il fut abreuvé par les juifs… La table et l’amour Curonsky et André Saint-Georges éditions de l’Arsenal 1994


M comme Mode et Menu

Dans les années 70 les choses étaient simple et les menus annonçaient en langage clair que l’on pouvait choisir : truite aux amandes ou poulet aux écrevisse, soufflet au Grand Marnier ou omelette norvégienne. Aujourd’hui une fièvre de sophistication s’est emparée des menus: dans les restaurants « chics » il est de coutume qu’aucun plat ne soit servi sans que l’on décline dans un langage parfois abscons ce que l’on trouvera dans son assiette, c’est une sorte de poème d’ailleurs on sent que le rythme et le nombre de pied est étudié pour être récité que le ton détaché est très étudié, il est souvent impossible de retrouver le goût de tout ce qui à été détaillé. les menus d’Alain Ducasse ou de Michel Troigros change par le ton, on retourne aux mots simples qui expriment exactement ce que l’on trouvera dans son assiette.
En France, les soupes de légumes avaient été exclues des menus comme trop populaires ou paysannes. Aujourd’hui elles sont à la mode, comme les légumes d’ailleurs, Il y a maintenant 12 bars à soupes à Paris ! Une multitude de livres de recettes de smoothies, de mini cocottes, tartines, verrines. J’ai même eu en 2004 un cassoulet en vérine dans un restaurant de Nîmes avec 12 cocos blancs, à la grande stupéfaction de mes hôtes Bruno Roy et David Massabuau avec qui je réalisais un livre pour Fata Morgana.


N comme Nom

Ce n’est sa forcément simple de nommer un légume : le radis du Japon est-il bien identique au navet de Chine ? Le bok shoy dont j’avais fait une variété de bette est finalement une crucifère donc un choux….il aurait fallu appeler poirée, la bette ou la blette elle n’aurait peut-être pas été reconnue, et je n’ai pas osé appeler piment le poivron qui en est pourtant un.....


O comme Ordre

Je suis une maniaque du rangement des placards et du réfrigérateur, presque chaque jour je remets à la place que je leur ai assignée, les laitages à un étage, les viandes à un autre, les légumes tout en bas, les boissons en haut, les matières grasses dans la porte les confitures aussi. Je déteste quand on vient perturber cet ordre et ça arrive pourtant deux fois par jours, parce que personne ne partage ce même besoin, mais je recommence imperturbablement, cela me permet de voir d’un coup d’œil ce que j’ai et ce qui manque et de ne jamais être angoissée lorsqu’il faut improviser un repas.
Je conserve mes épices dans des tiroirs : elles craignent la lumière et j’en ai trop dans des quantités et des emballages variables. Deux tiroirs de hauteur différente me permettent de tout ranger y compris des sachets et je mets les noms sur une étiquette ronde collée sur le couvercle. Le tiroir ouvert je vois ce que j’ai d’un seul regard : le fenugrec, les poudres de cumin, curcuma, paprika, coriandre, gingembre, les plus larges bocaux de la poudre d’ail, du tandoori, de la menthe, du laurier, du sate et du curry, les tout petits du safran, du poivre du Sechuan, du wasabi, du piment d’Espelette. J’aime faire le ménage de ces tiroirs, je regarde ce qu’il va falloir remplacer, je transfère un reste dans un plus petit bocal, je recolle une étiquette, j’ajoute une épice récemment découverte : la poudre de fenouil et ce merveilleux mélange iranien appelé sabzi gormeh composé de feuilles de coriandre, persil, ciboulette, aneth et fenugrec .


P comme Photographie, Piano et Patrimoine

J’ai mis trente cinq ans à avoir deux pianos l’un pour la musique l’autre pour la cuisine. Mon fils aîné Jean François qui avait alors 20 ans travaillait à côté du restaurant « Le Passage » à Lyon, le chef à cette époque était Daniel Ancel. Jean François le rencontrait quand il revenait du marché et ils avaient sympathisés en parlant de musique. Daniel Ancel apprenait le piano, comme moi, et nous parlions beaucoup de musique . Pour l’anniversaire de mes 45 ans, Jean François avait décidé de m’inviter dans ce restaurant réputé, c’était avec le premier argent qu’il gagnait et j’étais émue d’apparaître ainsi en public avec mon fils devenu un homme. On avait mangé en entrée une salade tiède de coquilles Saint Jacques sur un lit de haricots, de brocoli et de mâche, arrosé d’huile de noisette. Je l’ai refaite de mémoire plusieurs fois pour des invités que je voulais choyer, et elle est dans ce livre. Avec son jeune savoir sur les grands vins, Jean François avait choisi un Condrieu, qui convenait parfaitement bien à la suite du repas : un saint pierre dont je ne me souviens plus de la préparation. Le Condrieu avait en outre une qualité qui ne devait rien à son goût mais plutôt à une anecdote que j’aimais raconter. Mon père avait en effet commencé à respecter mon travail le jour où je lui avais dit que j’avais été invitée chez Nandron par le directeur du Patrimoine Photographique et que nous avions mangé une langouste grillée et bu du Condrieu. C’était en 1983 à l’occasion de la Commande Objectif Monuments. Quelques années plus tard à l’occasion d’une autre commande Territoires de la mémoire, Robert F.Hammerstiel qui désirait voyager en France s’était proposer comme assistant et nous avions économiser pour dîner chez Troisgros lors de notre passage à Roanne. C’est les mots « perfection absolue » qui pour moi, des années après caractérisent encore ce repas, et l’attention du service y était pour une part importante. Nous ne pouvions imaginer avec Robert que des années plus tard il m’offrirait encore de travailler avec moi et que ce serait pour la série La racines des légumes. Je l’avais connu en Pologne avant la chute du mur de Berlin à la deuxième conférence est-ouest sur la photographie et j’avais été impressionnée par ses photographies de tables mises. Le sujet était tout aussi étonnant que son traitement à la chambre 4X5’’ j’ai désiré les montrer en France, et c’est ainsi que nous sommes définitivement devenus amis.


P comme Placard comme Père et comme Provisions

Je tiens de mon père une sorte de maladie et Jean Christian est comme moi, on rempli les placards la cave et le réfrigérateur, on achète des provisions plus vite qu’on les consomme. Il paraît que c’est parce qu il a connu la guerre et nous les restrictions, je crois plutôt que c’est lié à la gourmandise ! Dans son livre de cuisine, Margueritte Duras écrit « .. dans ma maison de campagne , j’avais fait une liste des produits qu’il fallait toujours avoir à la maison , il y en avait à peu près 25, on a gardé cette liste.. elle est toujours exhaustive. La liste est toujours là sur le mur…on n’a ajouté aucun autre produit que ceux qui sont là. Aucun des cinq à six cents nouveaux produits qui ont été crées depuis l’établissement de cette liste , il y a vingt ans » …si je cherche les 25 produits qui me manquent lorsque je ne les ai pas, il y a l’huile d’olive, l’huile de pépin de raisin, le vinaigre de pommes, le vinaigre balsamique blanc, le beurre salé, la graisse de canard, les oignons, échalotes, les poudres d’ail, de piment d’Espelette et de curry, le sel de mer, poivre, thym, les pâtes, riz, yaourts, crème fraîche, lard, persil, la farine de pois chiches, le sucre brun, la sauce de soja, des citrons et des œufs….


P comme Partage

Il arrive que l’on lise ou que l’on entende exprimé exactement ce que l’on voulait dire, avec des mots encore plus justes que ceux que l’on aurait employés. Propos de Michel Troisgros recueillis par Véronique Braun le 13 octobre 2002 pour Art culimaire.com :
MT….C'est une affaire de convivialité. Pour moi partager le goût et les saveurs, c'est avoir envie de faire plaisir. On partage le goût, tout d'abord, en en parlant autour de soi. On se raconte les souvenirs, les expériences, les voyages, les sensations, les projets. En ce qui me concerne, j'en parle en cuisine avec mes cuisiniers. Mais on en parle aussi souvent à table justement! En famille, entre amis, et avec des clients également.
L'exemple de partage du plaisir du goût que j'ai envie de vous livrer se situe en famille, à la maison. Nous avons une grande cuisine comme vous pouvez l'imaginer. Le Piano occupe un mûr d'un côté et nous avons une grande table au centre. Mon épouse et moi cuisinons tous les soirs, pour les enfants. Le week-end, nous avons plus de temps, la famille se réunit dans la cuisine. Les enfants installés à la grande table nous regardent, ils sont en éveil, ils participent, posent des questions. C'est le moment où, quand on fait de la pâtisserie par exemple, ils piquent un morceau de pâte crue, ils mettent les doigts au fond du bol pour y récupérer le restant d'un mélange de jaunes d'oeufs et de sucre. Voilà de grands moments de partage. Parce que ce n'est pas seulement en mangeant que l'on partage le plaisir du goût, c'est aussi beaucoup au moment de réaliser. On attend ensemble que le plat se fasse, on attend des amis, on s'anime en cuisine ensemble. . Partager, c'est savoir offrir un peu de soi-même.
AC- J'ai beaucoup entendu parler du temps que vous passez sur les marchés, au contact des producteurs avec lesquels vous travaillez. Est-ce ainsi que vous trouvez votre inspiration, que vous stimulez votre créativité ?
MT- C'est exactement ça ! Vous parlez de stimulation, c'est sûr. Ces moments consacrés aux achats, en contact avec les fournisseurs sont fondamentaux. Les gens qui produisent du fromage fermier, qui cultivent des variétés de salades, ou d'autres légumes me sont essentiels. Cela participe complètement à mon envie. Je ne pourrais pas me passer d'eux. Quand je reviens du marché je suis tout excité ! J'ai tellement d'envies après avoir vu tous ces étals ! Je ne peux d'ailleurs pas en parler. Je n'ai pas les mots. C'est quelque chose que je ne peux pas alors partager avec mes cuisiniers. Il me faut d'abord faire une synthèse. Ce sont des moments pendant lesquels je suis nécessairement solitaire. Je ressens des choses que je ne peux pas traduire. Je suis soumis à une profusion d'envies, de gourmandises. Je pense que c'est un peu comme un peintre qui devant sa palette a l'idée d'une nouvelle couleur, de nouvelles harmonies. De l'idée à la réalisation, il passe par des moments de doute. Un cuisinier ne pourrait pas se priver de ces rencontres, de ce lien avec son pays. AC-Pour conclure, pouvez-vous nous décrire votre menu idéal ?
MT- Difficile de répondre à une question aussi définitive. Je vais néanmoins répondre en décrivant le menu préféré à la maison, en dehors de toute festivité. Je commence sans hésitation par une soupe de légumes préparée par Marie-Pierre, mon épouse, qui la fait en deux temps, trois mouvements. Je la déguste avec du yaourt frais, posé sur la soupe chaude, ou à défaut du fromage blanc. Art Culinaire.com


Q comme Quotidien

Chaque matin le merle réclame ses miettes de pain. On les prépare avec le pain sec de la veille avant de faire chauffer l’eau du café, assez rapidement les pigeons viennent le rejoindre puis l’expulser et on est moins heureux. Je pense intérieurement, ne serais je pas raciste malgré moi ? Je trouve à me rassurer depuis l’année dernière en laissant un couple de pigeons faire leur nid dans le large pot d’un érable, et les voir se bécoter on s’est is à les aimer. Faisant le café, je décide de ce que nous allons manger à midi puis le soir, j’y ai souvent pensé avant même de me lever, mais faut encore ouvrir le réfrigérateur, vérifier si il faut acheter quelque chose en allant à l’atelier, se souvenir si mon assistante Elsa Laurent déjeunera avec nous, si il y a des enfants ou des amis le soir Tout ça me met en énergie, et c’est le matin que je commence ce qui peut-être fait à l’avance, laver de la salade, éplucher des oignons, mettre une viande à mariner ou des légumes simplement dans la cocotte de fonte et dans le four programmé. Tout ce qui va permettre d’aller très vite ensuite au moment du repas. J’exerce un métier qu’on pourrait qualifier de plutôt intellectuel mais si chaque jour je réalise un repas j’ai l’impression de rester en prise avec la vie, d’être ancrée dans le réel. Ça me rassure, ça permet de souffler de casser le rythme, et je sais que si je n’ai vraiment pas le temps c’est Jean Christian qui prendra la relève avec sa manière différente de cuisiner. D’ailleurs pour notre mariage ses amis lui on offert un tablier…


R comme Remerciements à….

Henri de Villers qui m’a fait connaître les cocos de Paimpol et son épouse Françoise mon amie d’enfance retrouvée récemment qui m’a préparé les topinambours que je mangeais pour la première fois, Helena Navarro, maman de la compagne de mon fils Stéphane qui fait à sa manière la tortilla aux fèves, Sylvie Mazuyer avec qui j’écossais les petits pois de son jardin quand nos enfants étaient petits qui les prépare aujourd’hui dans une soupe au lait de coco et à la menthe, Ennemond son mari, qui fait la salade tiède de pois gourmands au saumon fumé. Philippe Nouail, mon voisin artiste qui cuisine admirablement et m’a conseillé la salade de chou aux papayes vertes et au citron vert. Shirley Sharoff, seule végétarienne parmi mes amies, artiste et cuisinière étonnante, elle m’a donné les recettes de Salade de radis blanc au Wakame et de salade de carottes aux amandes et aux raisins sec. Nancy et Philippe Vermès lui photographe, elle enseignante en linguistique qui poussent l’amitié jusqu’à faire des dîner pour mon anniversaire et m’ont donné la précieuse recette de L’indispensable bouillon diététique qu’ils préparent chaque semaine, conseil paraît-il du diététicien de Catherine Deneuve ! et la recette américaine qu’elle tient d’une amie : le Becky's carrot cake , Yves Marie Marchand , éditeur de la plupart de mes livres, qui avait crée les éditions Marval, et qui cet été m’a fait découvrir les oignons de Florence et donné la recette de la salade froide de cocos secs aux poivrons et aux oignons, Eric Cez, qui tout jeune a été mon assistant puis a travaillé chez Marval et pris la relève avec Loco, et Manuela Marques sa femme, portugaise et photographe et chaleureuse cuisinière, toujours prêts à préparer des repas de fêtes, c’ est chez eux que j’ai découvert la salade de fenouil et au parmesan au citron. Marina Devillers qui a remporté le premier prix de mon concours de recettes de cuisines avec la recette de bette blanche et bette verte, et Christian Devillers qui a gagné le troisième prix avec la compotée de jeunes oignons en cocotte, deux architectes gastronomes et amis fidèles, Anne Simonet qui a gagné le deuxième prix avec le velouté de petits pois, granité de tomates et crème d’échalotes acidulée, auteur de livres sur l’olive, la truffe… qui m’a appris aussi à faire le velouté de poireaux et pomme de terre aux truffes, Serge Mathieu dont on garde que le souvenir des repas de versnissage à la galerie Mathieu et qui m’a appris à faire la salade de courgettes à la feta, coriandre frais et pignons grillés, mais aussi à ne pas faire revenir les viandes et a cuire les frites – premier bain à 160° deuxième à 180°, il était belge !- ma galeriste Michèle Chomette et son mari Bernard Chaux qui m’a appris à faire cuire les pointes d’asperges 4 minutes à la vapeur. Ils se sont engagés avec enthousiasme dans mon concours de recettes de légumes et qui avait eu l’idée généreuse de nous inviter chez Claude Colliot à l’issue du vernissage de l’exposition. Claude Colliot qui a accepté que je publie la recette du granité de fenouil que j’avais choisi en dessert. Alain Ducasse qui avait vu dans le journal Le Monde la photographie du coco rose, anecdote à partir de laquelle s’est développée une relation faite de cadeaux, d’achats, de troc, de vraies invitations à dîner au Plaza Athenée. On trouve dans ce livre son croustillants millefeuilles de pommes de terre et légumes, Pierre Ganiaire avec son chou au genièvre de « la cuisine immédiate » le livre où j’ai tout appris, Jean Paul Lacombe, chef lyonnais avec le gratin de cardons et de crosnes à la moelle et aux truffes, Michel Troisgros qui m’avait déjà donné la recette de trévise confite à la cannelle et qui m’a si amicalement invitée à déjeuner à Roanne pour connaître mon travail et me donner celle de légumes salés Manoa, Jean Christian Fleury mon mari qui m’accompagne dans les aventures gastronomiques et qui a expérimenté et critiqué mes recettes jour après jour, on trouve au chapitre pomme de terre sa fameuse purée cuite au court bouillon.


R comme Rue

Dans un documentaire passé récemment à la télévision, on voit Alain Ducasse manger un hot dog dans la rue à New York, et ça m’a fait plaisir!! C’est toute mon ambitions : être à l’aise dans un palace comme dans la rue… En Allemagne on trouve dans la rue des saucisses de veau grillées au barbecue , en Egypte des sandwichs de frites pimentées juste comme il faut, à Paris des crêpes et des marrons grillés. Au Sikkim on trouve des momos, sortes de très gros raviolis cuits à la vapeur, au Maroc des chebbakia pâtisseries frites aux graines de sésame, à Bruxelles des frites moelleuses dedans, croustillantes dehors … chaque pays a sa nourriture de la rue que l’on désire en passant, que l’on mange en marchant et c’est un des bonheurs de la ville
Il y a quelques années nous voulions avec maman aller au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Il est boulevard Wilson où il y a le matin un grand marché. On passait dans les allées en musardant, envie d’un fruit ici, d’un fromage là, d’un petit pain plus loin. Finalement on décide de ne pas aller au restaurant de s’acheter tout ça et de manger sur un banc. Comme nous étions entrain de nous régaler japonais qui nous regarde avec curiosité et qui s’arrête, il sort son appareil de nous demande poliment si il peut faire une photo. On a dit « oui » et je riais en l’ imaginant, regarder avec sa famille ses photos de voyage, et racontant.. quoi ? que nous étions des clochardes peut-être !


S comme Sel et Sucre

J’ai plusieurs fois reçu du sel en cadeau. C’est Barbara Loyer mon amie géographe qui la première m’a fait offert du sel fou de Noirmoutier, lorsqu’il a été sur la fin, et voyant que nous ne pourrions plus nous en passer, il a fallu examiner sa composition, alliés au sel gris, on a trouvé du thym des baies roses et du coriandre en grain. Puis il y a eu Michèle Moutashar qui un jour m’a apporté des flocons de sel noir de Chypre, et plus tard du sel rouge au paprika et aux baies rose. Ce printemps, nous sommes allées à Saint Rémy de Provence où elle les avait achetés et on a trouvé du sel rose de l’Himalaya, du sel fumé de l’île d’Anglesey couleur miel, fumé au bois d’Aulne de Colombie Britannique brun sombre, Ils ont tous un goût différent, je les présente avec le gomasio mélange japonais de sésame et de sel dans des boites à fard indienne soigneusement désodorisées. Il y a juste quelques jours, alors que nous étions chez lui en Bretagne Yves Marie Marchand a déposé sur mon oreiller du sel de St Armel récolté dans le golf du Morbihan où il habite, j’ai promis d’en faire la promotion dans ce livre ! et le mois dernier en sortant du Plaza ou Alain Ducasse nous avait invités à la suite d’un de nos trocs repas/photos on m’a offert de sa part un sachet de fleur de sel de Guérande.
En 2000 nous avons fait avec Jean Christian un voyage au Mali. Nous avons vu les caravanes arrivant sur le port, les dromadaires chargés sur chaque bat de lourdes plaques de sel solidement ficelées pour le long voyage depuis les mines de Taoudeni à plus de 100 kilomètres. J’ai appris depuis que dans cette zone ou affleurent d’anciens fonds marins, une centaine de mineurs travaillent pieds nus avec les mêmes outils rudimentaires que ceux de leurs ancêtres, entièrement dépendant des caravaniers. Pour payer le voyage ils s’endettent pour plusieurs années et ne sont payés qu’au retour si les plaques ne sont pas fendues, car elles perdent alors leur valeur et c’est un mystère car sitôt achetées sur le lieu même, elle sont cassées avec un petit marteau de métal et vendues au kilog. Dans ma chambre d’amies j’ai une plaque de sel gemme achetée sur le marché de Mopti. Je préfère les goûts salés et du coup et je mets peu d’énergie dans la fabrication des déserts. Mais la curiosité, l’infinité des variations de goût d’un seul aliment me tiennent en veille. Il en est du sucre comme des sels des huiles ou des farines. La dernière découverte, la plus précieuse, a été celle du sucre de palme. Dans la grande épicerie indienne où j’aime aller acheter le riz et les épices il y avait un rayon avec de curieux petits paquets enveloppés de feuilles. Comme je demandais à un employé qui était là ce que c’était, il m’a répondu avec grand sourire en tournant vigoureusement sa main sur l’estomac. Devant la joyeuseté de la réponse, j’ai aussitôt acheté ce qui était du sucre de palme. Depuis, j’ai appris qu’il est constitué à 100% de saccharose, et déjà on ne peut plus s’en passer, partagés entre le désir de garder le paquet sans l’ouvrir et celui de le déguster avec le café.


S comme Slowfood

Il faut s’intéresser à ce mouvement international dont Alice Waters est la présidente pour les Etats-Unis, j’ai déjà parlé d’elle. Chef de « chez Panisse » à Berkley, restaurant classé parmi les 50 meilleurs du monde, je l’ai connue par Michel Troisgros qui aime beaucoup ses livres. C’est une farouche militante de l’agriculture Bio et des produits locaux, Elle a crée une école pour enseigner l’apport d’une nourriture de qualité dans les cantines scolaires et Michèle Obama l’a chargée de créer un potager à la Maison Blanche.


T comme Tissus Torchons et Tabliers

On trouvait sur les marchés, dans les années 70, des tabliers bressans en coton. Ma grand-mère en portait. Ils étaient un peu sévères mais c’est aussi pour cela que je les aimais, avec leurs deux grandes poches et leurs fleurettes bleues sur fond noir. Le tissu a même été à la mode dans les années 70 et j’en avais acheté un métrage pour confectionner une nappe et des serviettes. Mais il y a quelques années, lorsque j’ai voulu offrir un tablier à mon amie Barbara, beaucoup plus jeune que moi, ils avaient disparu. On les a cherchés à la source : au marché de Bourg-en-Bresse. On a rien trouvé sinon une pâle copie à la forme moins généreuse, plus ajustés, plus colorés et plus rêche. J’en ai tout de même acheté deux, le cœur triste, un pour elle un pour moi. Le temps était passé. On trouvait aussi au mètre du lin à fines rayures rouge formant des carreaux pour faire des torchons. Disparu aussi de la vente, J’achète frénétiquement les vieux torchons dans les vide-greniers, j’en fabrique avec les draps de lin usagés, je ne peux pas m’en passer dans une maison. J’ai converti mon mari et mes enfants On s’en sert pour essuyer les verres, les vitres, les lunettes, les miroirs et les légumes. Je suis furieuse après ceux qui s’en servent pour s’essuyer les mains !
J’ai une discussion récurrente avec Jean Christian, je veux utiliser en nappe les beaux tissus que nous rapportons de voyage, il ne veut pas risquer de les tâcher. je sis qu’il préfère qu’ils dorment sur des étagères, il ne cède pas. Il m’arrive de faire un passage en force : on utilise maintenant un ikat indonésien comme nappe au quotidien, un bonheur parce-qu’elle n’est pas salissante et qu’elle se lave facilement. Les waks fabriqués par les hollandais pour les africains avec les techniques apprises de la colonisation se trouvent sur les marchés de banlieue, ils sont gais, solides à la lumière on les repasse en 30 seconde, la fantaisie et la variété de leurs motifs est sans limite. Sur ce choix nous sommes d’accord.


U comme Université

Lorsque mon amie Barbara Loyer préparait sa thèse, les étudiants de géopolitique de l’université Paris VIII avaient eu comme sujet le vignoble de Champagne. C’était une époque ou l’on vivait seule toute les deux et l’on passait beaucoup de temps ensemble, on s’était chacune acheté la cuisine du marché de Paul Bocuse pour pouvoir nous en parler par téléphone. J’étais à Charnay, elle était à Paris, et j’habitais chez elle lorsque j’y allais. Les étudiants ont beaucoup étudié et beaucoup bu… ils ont fait un rapport détaillé sur le territoire des grands crus ou la maison Roguet de Mailly arrivait en tête de liste pour la perfection de sa production. C’était une tout petit exploitant dont les parts de vignoble se trouvaient insérées entre celles de Ruinart et celles de Bollinger. On allait le voir deux fois par an au moins, il nous faisait visiter ses vignes puis goûter ses vins dans sa salle à manger sur une nappe de toile cirée. Je me souviens des bibelots cadeaux de fêtes des mères souvenirs de voyages qui étaient dans les vitrines du buffet. On repartait le coffre chargé pour tous les amis. J’ai changé plusieurs fois de compagnons mais jamais de fournisseur de champagne ! puis il a vieilli, le fils vendait la récolte aux grandes maisons on étaient tristes, lorsque le petit fils a repris l’exploitation avec toute l’énergie de sa jeunesse inventant de nouveaux assemblages, créant un rosé, un blanc de blanc, des crus millésimés, continuant à travailler une bulle très fine, et plus que le bonheur de conserver un vin qu’un aime c’est aussi celui de la vie qui continue, qui se régénère sans cesse… Barbara qui est aujourd’hui professeur de géopolitique à l’université elle avait fait sa thèse sur le pays basque. Elle y a rencontré un poète Francisco Javier Irazoki avec qui elle est rentrée à Paris. Ils ont deux enfants, c’est lui qui fait la cuisine et il m’a appris à faire les omelettes espagnoles avec des pommes de terre des oignons et des haricots. On a depuis plus de dix ans le projet d’aller tous ensemble chez Juan Mari et Helena Arzak , à Saint Sébastien.


U comme ustensiles

Si j’aime faire la cuisine c’est autant pour manipuler des ustensiles qui ont une histoire, que pour associer des ingrédients. Il se trouve que par les hasards de ma vie, j’ai trois cuisines, donc la possibilité à droite ou à gauche d’avoir un nombre de poêles de fer, de râpes, de spatules de plats de terre, de nappes qui me rend heureuse. Il y a les ustensiles hérités de ma grand-mère, ceux rapportés de voyages, ceux reçus en cadeaux, ceux nombreux trouvés dans des vides greniers, et quelque uns achetés à prix fort parce qu’ils sont indispensables et mieux quand ils sont récents comme les casseroles d’inox à fond épais. Pour faire les recettes de ce livre il faut au minimum une bonne cocotte de fonte qui puisse aller au four et être posée sur la table, pour les cuissons à l’étouffée, le curry, les légumes confits, 2 grandes poêles de fer à fond épais, pour faire revenir, 1 couvercle anti-pojections et un couvercle plat du même diamètre un wok qui peut aussi servir de friteuse et son couvercle, 1 grande sauteuse et 2 casserole d’inox à fond épais et à couvercle, une grande marmite qui peut-être celle du couscoussier et 2 passoires dont une très grande pour rincer les légumes verts à l’eau froide, un couteau à lame large pour émincer les légumes y compris ciseler les herbes fines rassemblées serrées dans la main gauche, un couteau à lame étroite et mince pour peler le couper ce qui et dur : courges cèleri rave, chou, pain ou les œufs … un petit couteau pour ôter les germes des pommes de terre couper du beurre etc.. une pierre à affûter et une grande planche à découper, un économe pour éplucher parfois et pour les copeaux de parmesan, un grand bol à mixer, un pied mixeur et un mixeur/ râpeur, un plat large et creux pour faire mariner ou mélanger les ingrédients sans les écraser, un moulin à légumes pour les purées, un chinois pour les veloutés, des spatules variées en bois à bord droit pour détacher le fond de la cocotte, en métal souple et large pour retourner dans la wok ou la poêle en métal longue et étroite pour décoller la crique, un grand plat à four de terre pour les gratins et le tian, un moule à tarte une lèche frite pour faire griller les aubergines ou les poivrons, un moule à bord suffisamment haut pour cuire un clafouti, un moule à bord très haut pour un flan ou un bavarois, un verre à mesurer. un moule de métal rectangulaire pour mettre un sorbet au congélateur, et tout ce que l’on aime, boites de bois pour le sel, petits bols de terre ou de porcelaine, récipient à couvercle permettant de conserver les aliments préparé au frais dans les transvaser, un pilon pour concasser le poivre, le coriandre les baies roses, piler la mie de pain sec pour faire de la chapelure ou pour les oiseaux…


V comme voyages

J’ai vu en Russie des hectares de serres de verre avec des cheminées de brique pour les chauffer en hiver, c’est là qu’on cultive les tomates depuis plusieurs générations. Est ce en raison de son goût ? Ou aussi parce qu’elle est riche en vitamine C et en sels minéraux et que là-bas l’hivers est long ? Les russes en mangent au quotidien comme des concombres et du chou cru. Ils ont eu la plus grosse cloche s’écrasant au sol le jour son inauguration, la plus grosse lanterne de procession qui a finalement était importable, la très grande URSS… et la plus grosse tomate, charnue pleine et délicieuse. J’ai rapporté de tous mes voyages en Europe de l’Est des rideaux ou des nappes de lin damassé et des livres imprimés en héliogravure et du paprika. De chaque voyage je rapporte au minimum, un tissu, un ustensile de cuisine, un livre et des boites d’allumettes. Puis il y a les épices. Il y a un bonheur des épices. Je me souviens des cônes de curcuma, de cannelle dans les souks marocains, des tapis de clous de girofle étalés pour qu’ils sèchent sur les routes de Bali, des bocaux de Safran en Égypte. Longtemps j’ai habité à la campagne et c’était au hasard des voyages ou de mes déplacements dans la capitale que je remplissais mes placard de trouvailles. C’était comme un jeu une manière de rentrer à la maison avec des nouveaux goûts de les partager avec mes enfants, de me faire pardonner mon absence. Aujourd’hui je vis à Paris, fréquenter les épiceries, dans mon quartier ou sur mes routes familières, c’est ma façon de voyager dans la ville. L’épicerie chinoise est sur le chemin du marché on y trouve l’oignon l’ail grillés en pétales, le basilic chinois, les pâtes , en très grande variété de blé dur, de blé tendre, de riz, de soja et les pâtes instantanées tellement pratiques, le bouillon Pho délicieux et léger fond de soupe que j’utilise là ou le bouillon de poulet vient trop modifier le goût : pour les rizottos de fruits de mer par exemple, le Nuoc Mâm du Vietnam , macération d’anchois riche en protéines. Celui de Phu Quoc est une appellation d’origine contrôlée. Les racines de gingembre, le saté, mélange d’épice avec des cacahuètes, la pâte de tamarin le lait de coco et le riz rouge de Thaïlande qui est une riz gluant complet à faire cuire plus d’une demie heure, l’huile de sésame grillé dont on utilise quelques gouttes comme condiment, les arachides décortiquées non salées non grillées qui accompagnent tous les repas en chine, les beignets de crevette à faire éclore dans l’huile, pour la joie des enfants, les bananes et les mangues séchées pour les longues marches.
Si l’on va à pied dans la direction opposée à l’épicerie indienne. On y trouve le Ghee, beurre clarifié que l’on trouve aussi à l’épicerie arabe, l’ail en poudre, le fenouil engrains et en poudre, le sucre de palme beaucoup plus goûteux et moins sucré que le sucre de canne, le fenugrec en grain et en poudre, les mélanges d’épices : curry, garam masala tandoori et colombo, la cardamome verte, blanche ou noire, les graines de sésame blanc doré et noir, la farine de pois chiches, le riz basmati blanc et complet, plusieurs sorte de lentilles brunes, corail et jaune de miel pour faire le dal que les indiens consomment au quotidien. les popodums de farine de lentille à faire frire pour les apéritifs, l’huile de jasmin pour les cheveux.
il faut prendre le métro pour aller jusqu’ aux épiceries japonaise et coréenne et trouver, le gingembre en copeaux au vinaigre, le vinaigre de riz ou vinaigre à suchis très doux qui peut être l’unique assaisonnement d’une salade délicate, les pâtes Soba, pâtes de Sarazin que les japonais mangent glacée en été , la sauce soja, les mélanges de céréales et légumineuse, le tofu tout frais, les algues nori dans lesquelles on roule les suchis mais aussi que l’on coupe en lanière pour assaisonner de nombreux plats et ajouter les sels minéraux, les protéines et le calcium qu’elles contiennent, le miso orge fermenté, qui s’utilise à raison d’un cuillérée à café par personne dans un bouillon ou les soupes instantanées miso + wakamé si légère et goûteuse préparée en 3 minutes. Elles régénèrent le corps, on se sent bien aussitôt, la poudre ou la pâte de wasabi joliment vert pâle, proche de notre moutarde ou du raifort, la bonite séchées – poisson proche du thon râpé très finement - qui bouge au moment ou on la disperse sur un plat chaud bouge tout doucement, sous nos yeux étonnés. Il y a maintenant pas très loin de l’atelier une épicerie turc, on y trouve le vinaigre de pommes, qui peut remplacer le vinaigre de vin et qui guéri les aphtes, le pain rond levé, que l’on peut couper pour faire des poches à garnir pour les pique niques, le yaourt de 500gr au lait entier sans conservateur, les fromages frais de brebis ou de chèvre en saumure dans des boites de 1 kilo, les petits piments doux et les gousses d’ail au vinaigre, les figues séchées, le gruau de blé, le maïs concassé. Il reste l’épicerie arabe dont on ne peut se passer, celle qui rassemble les ingrédients des cuisines marocaines, algériennes et tunisiennes, elle manque dans mon quartier où on trouve ces ingrédients dispersés mais par contre il y en a une formidable à Lyon, à laquelle on peut même s’approvisionner maintenant sur internet. On y trouve les couscous d’orge et de blé fin et moyen que je mélange et non précuits pour qu’ils ne s’amollissent pas à la cuisson. les boulgours, les pois chiches, les légumes secs fèves et les févètes décortiquées, gros pois chiches, le lait fermenté , les olives noires confites, plus douces que les grecques, les citrons confits du Maroc, pour le tagine de poulet, le thon albacore à l’huile d’olive dans des boites de 750gr qui renferment une seule belle tranche, idéales en réserve pour les repas à l’improviste, les feuilles de brick de la cuisine populaire tunisienne que l’on plie autour d’un mélange de thon de piment et de citron confit, l’huile d’olive, les amandes entières et en poudre, les cerneaux de noix, les noisettes les raisins secs , tout un choix d’épices curcuma, piment doux, fenugrec, et le mélange ras el hanout jaune ou rouge indispensable pour le couscous comme la pâte d’harissa fraîche ou en boîte, les pains de semoule ou feuilletés, Le thé vert sélectionné pour le thé à la menthe, parfois le savon d’Alep au laurier pour lequel il faut abandonner tous les autres , toujours le savon noir à l’huile d’olive pour la peau, pour traiter les plantes ou encore pour laver les tomettes, l’eau de fleur d’oranger et l’eau de rose naturelles .


W comme Wagon restaurant

J’ai la nostalgie du wagon restaurant hongrois qui se décrochait de l’Orient express à Salzbourg. Les serveurs avaient de petits gilets rouges à galons, on mangeait une goulasch de bœuf en sauce accompagnée de petites pâtes rondes comme des perles et arrosée de Tokay. J’étais seule dans ces voyages entre Paris et Vienne et j’étais heureuse d’être seule jouissant de la nuit qui tombait à l’heure du repas, des lumières du Wagon, du souvenir des romans qui commençaient dans des trains. Pendant plusieurs année ce train qui partait vers 20 heures de la gare de l’Est à Paris a représenté pour moi la liberté.


X comme Xeres

Le fino, ou la manzanilla se servent en Andalousie en apéritif avec des tapas. Les olorosos sont plus alcoolisés, les anglais les prennent en digestif sous le nom de Sherry. Le vin blanc de Xeres dont la vinification se rapproche de celle du vin jaune est très utilisé par les chefs de la nouvelle cuisine, je l’ai découvert récemment chez Michel Troisgrois. Jusqu’alors je ne connaissais que le vinaigre !


Y comme Ying et Yang

Dans la philosophie asiatique, le ying est féminin, le yang est masculin et nous avons chacun comme toute choses, une part des caractéristiques de l’un et de l’autre. La diététique chinoise repose sur l’analyse de chaque individu plus ou moins ying ou yang, froid ou chaud, humide ou sec et une fois sa carte établie, propose un régime alimentaire ayant pour but de lui faire atteindre l’ équilibre lui assurant une bonne santé physique et morale. La médecine chinoise, complexe, est basée sur la loi des contraires. On ne va pas chez le médecin lorsqu’on est malade, mais pour maintenir l’harmonie et l’énergie du corps, l’alimentation comme facteur de cet équilibre a une importance fondamentale qu’elle a mis longtemps à acquérir dans notre monde occidental.


Z comme Zicheng

Hong Zichen, philosophie chnois du début du XVIIe a donné pour titre à son recueil de pensées : Propos sur la racine des légumes. Dans ce livre que j’avais acheté pour son titre il n’est pas une seule fois question de légumes, mais d’ adhésion à la nature, d’ art de vivre en société, de réflexion sur les rapports humains, d’une quête de la sérénité n’excluant pas les élans du cœur. C’est la découverte de ce livre est à l’origine de la série de photographies publiées ici et qui a été réalisée avec Robert F.Hammerstiel de 1998-2000 chez Gilles Béréziat à la Ferme des Bioux.