Jacqueline Salmon

Grenier d’abondance

projet pour la direction des affaires culturelles de Lyon, Charnay 1991 Photographie table des matières,
Triangle et École des Beaux Arts, Rennes 1993

Il s’agit d’un bâtiment majestueux construit au 18e par de Cotte — architecte du roi — pour engranger et préserver les nourritures de l’armée. Il est aujourd’hui réhabilité pour devenir le siège de la Direction régionale des affaires Culturelle en Rhône-Alpes.
La dénomination à la fois économique et poétique de ce bâtiment, ainsi que sa destinée, que l’on pourrait souhaiter symbolique d’un changement de priorité dans notre société, sont à l’origine de mon projet.
Je postule que le bâtiment est un corps sensible, le chantier de démolition et de réhabilitation, une opération à cœur ouvert. Une phase clé du chantier est cet instant charnière, entre démolition et reconstruction, où la structure architectonique d’origine apparaît, dévoilant ainsi le dessin de l’architecte avant que de nécessaires aménagements l’enfouissent sous un corps nouveau.
J’utilise le chantier comme une métaphore.
Ce bâtiment est porteur d’un destin exemplaire, je pose comme règle que ce destin inscrit dans sa construction sera révélé par le chantier, par ce traumatisme où son « inconscient » serait involontairement mis au jour.
Le chantier est en effet un théâtre. Dans cette unité de temps, d’action et de lieu, se joue le devenir de l’architecture. De même que l’architecte concrétise son projet contemporain à partir d’une connaissance approfondie de la structure architectonique de la construction du xviiie, c’est par la connaissance de nos racines culturelles que nous pouvons appréhender le monde de la création.
La photographie est cette rencontre imprévisible entre un état des lieux, une pensée, un désir façonné par la mémoire.
Ici ma mémoire est celle du théâtre, de la danse, de la musique, du livre, de la peinture, de l’ethnologie, de l’histoire, de l’architecture...
Elle rencontre à travers les installations inconscientes du chantier les différents pôles d’intérêt d’un ministère de la Culture, qui sont aussi les moments différents de ma vie que la photographie rassemble.
Incitée par une discussion avec Patrice Béghain, j’ai ajouté des mots tels que la passion, l’émotion, le savoir, la rigueur, etc., tous qualificatifs de l’art, de la culture, et de la direction d’une DRAC.
J’ai visité ce lieu pour la première fois en 1989, une gendarmerie était installée là, avec ses bureaux, son cachot, mais aussi les nombreux et petits appartements de gendarmes qui avaient entièrement cloisonné l’espace, autant d’histoires de vie que de petites cellules, toutes semblables, alignées sur deux côtés et sur trois étages, dont la seule originalité était le choix des couleurs et des fleurs des papiers peints.
Je terminerai ce travail fin 1993, l’espace sera à nouveau cloisonné, les architectes auront eu le souci de préserver des visions de colonnades, ils auront inventé d’autres harmonies, mais du dessin de De Cotte, et de l’ampleur de son projet, il ne restera que les photographies, comme un moment où l’histoire et la mémoire auraient fait alliance avec le présent pour tenter d’abolir le temps.

J.S.