Dominique Carré

L’art du funambule Maillol vu par Jacqueline Salmon

Photographies N°7 spécial danse, mai 1985

La représentation de la figure idéale, de l’enchaînement le plus parfait des pas du danseur, est assurément pour le photographe, l’une des tâches les plus difficiles ; il doit prendre le geste, à son moment optimum, au point précis d’équilibre, qui appelle dans une même image les mouvements passée et ceux à venir.
A cette notion d’équilibre physique, présente par nature dans l’art de la danse, s’est consciemment ajoutée, dans les expérimentations tentées depuis la période expressionniste, celle de l’équilibre psychique et mental, et par là même,venant naturellement, la notion du déséquilibre, qui semble être le premier thème commun aux deux images de Jacqueline Salmon, dans cette pose volontairement floue de la danseuse Catherine Diverres, mais aussi dans l’attitude de la Rivière de Maillol, prête à tomber bientôt de son socle.
En regardant les planches contact de Jacqueline Salmon, et en suivant plan par plan le parcours du photographe autour de son modèle posé dans le jardin des Tuileries, on a la sensation selon que le décor – la façade du musée du Louvre – se rapproche ou s’éloigne, se redresse ou plonge dans la diagonale de l’image, que la statue cherche réellement son équilibre. Les bras et les jambes, dont le danseur se sert d’habitude comme d’une force motrice, semblent n’avoir ici que la seule fonction du balancier,des sortes de contrepoids qui éviteront la chute. En tournant délibérément autour de la statue, le photographe a non seulement inversé les rôles – c’est d’habitude le danseur qui rythme les mouvements- mais aussi l’effet, puisque c’est le photographe, ici, qui paraît être l’élément stable, et semble dicter à son modèle la façon de tourner sur lui-même. Alors que d’autres images prises d’en dessous, donnent au bronze de Maillol des allures aériennes,ce point de vue choisi semble tirer la statue vers la terre. Mais pourtant, elle résiste, elle tient bon , et se plie, dans un mouvement presque désespéré, tout aussi bien aux règles de l’effort physique du danseur, qu’à celles du sculpteur que Matisse résumait dans un langage parfaitement chorégraphique : « En premier lieu, une figure doit posséder son propre équilibre. » Il n’est qu à faire une transcription du mot « figure » pour éclairer les liens qui unissent les deux images, et qui passent par la photographie.